Ginette Laurin : Liberté individuelle
La chorégraphe Ginette Laurin a été invitée en résidence de création au Musée d’art contemporain (MAC). Elle y offre une œuvre intelligente, mais qui n’évite pas plusieurs pièges.
Une œuvre d’art totale, mais en morceaux (postmodernité oblige), qui tente de faire des ponts entre les arts et leurs limites respectives, mais qui, surtout, nous plonge dans une quête de sens, celui de la vie: voilà comment je pourrais résumer le grand projet de la chorégraphe Ginette Laurin au MAC.
Bien sûr, la danse est conviée, mais aussi d’autres formes d’art: vidéo, installation, photo, et même, d’une certaine manière, le théâtre… Six œuvres constituent en fait La Résonance du double. Six œuvres qui se partagent une sorte de caverne, petit dédale aux résonances mythologiques, où le spectateur, plongé dans une obscurité rompue par quelques éclairages dramatiques, sera accueilli par deux jumelles qui, telles des gardiennes du temps, scandent le passage de la vie en laissant tomber des pierres sur un panneau de bois. Grâce à un système sonore efficace, ces pierres résonnent profondément. Elles énoncent le passage du temps, mais aussi, problématique plus importante, la contrainte gravitationnelle à laquelle est soumise la danse. Encore plus intéressant, elles nous disent la perte de sens que nous impose la répétition des mêmes actes.
Avec cette entrée solennelle, le ton est donné. L’œuvre de Laurin pose une question fondamentale: comment être toujours dans le présent, dans le là maintenant, alors que tout dans la vie, du travail aux amours, en passant par la création artistique, nous pousse vers la répétition (et ce, même dans la constitution de mythes collectifs). Comment le corps résiste-t-il à ces aliénations? Comment arrive-t-il à conserver son unicité?
Voilà les interrogations auxquelles le spectateur est convié par ces œuvres portant toutes des titres traitant de la notion de double et de perte de sens: Traces, Ombres, Coppia… Des œuvres qui n’évitent pas toujours certains écueils, celles par exemple où le dédoublement se met en place grâce à des jumeaux. C’est le point le plus faible de ce travail.
Je questionne beaucoup l’étrangeté facile provoquée en art par l’utilisation de jumeaux. Certes, Laurin se réapproprie la symbolique qui leur est attachée, tente de la renverser pour parler de la question de l’identité unique. Mais j’ai bien peur que pour beaucoup de spectateurs, cela ne s’énonce pas assez fortement. Dans ces jumeaux, les visiteurs verront-ils, ainsi que l’écrit Louise Ismert dans le catalogue, comment Laurin cherche "la singularité de chaque interprète", "comment l’exécution de tout geste est liée au physique, au psychisme et à l’affectivité de chaque individu"? À travers les jumeaux, on atteint un raccourci symbolique facile et trop chargé qui n’interroge pas vraiment la notion d’aliénation. Cela me fait penser à ces gens qui s’élèvent contre le clonage parce que l’humain y perdrait de sa singularité! Comme si nous avions besoin d’attendre le clonage pour être dé-singularisés.
Voilà pourquoi, parmi les six œuvres présentées par Laurin, j’aime mieux la pièce intitulée Variations. Des danseurs, bien différents les uns des autres, y répètent les mêmes gestes qui, au premier coup d’œil, semblent bien dissemblables. Là, dans ce dispositif très simple, presque banal, s’éprouve mieux la capacité étrange de l’humanité à résister à la répétition déshumanisante.
Jusqu’au 31 octobre
Au Musée d’art contemporain
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