David Miller : Les goûts sont dans la nature
Avec l’expo Arizona Landscapes, David Miller nous confronte à notre vision de la nature.
Notre expérience de la nature est-elle naturelle? Et la nature elle-même est-elle naturelle? Certains diront que voilà de bien étranges questions. Je m’explique. Notre émerveillement devant les paysages est-il aussi authentique que nous voudrions le croire? Le coucher de soleil est-il beau juste par lui-même, ou avons-nous appris depuis les Romantiques à le trouver beau? La nature nous offre-t-elle une expérience esthétique pure? Qu’aimons-nous lorsque nous regardons la belle nature?
Dans une petite mais intelligente présentation (où les photos auraient cependant gagné en intensité si elles avaient été de plus grand format), le photographe David Miller nous amène à réfléchir sur la limite entre l’expérience de la pure beauté qu’offrirait la nature et la reconnaissance d’une expérience visuelle déjà connue. Miller nous interroge aussi sur la limite entre le réel et l’artificiel en mélangeant astucieusement des images prises dans un zoo avec des photos qui nous semblent réalisées en pleine nature. Pourtant, à y regarder de plus près, même les photos d’une nature plus naturelle (on me pardonnera ce dernier pléonasme) sont en fait des mises en scène réalisées dans un lieu à peine moins contrôlé qu’un zoo. Ce loup juché sur un rocher est derrière un grillage presque imperceptible, mais dont on voit néanmoins la trace en haut sur la photo.
Lors d’un périple à Tucson en Arizona, en 2003, Miller découvre le Musée du désert. Là, nous dit le site Internet du Musée, dans "une mise en scène étonnamment naturelle" (sic), des animaux vivants sont offerts à la contemplation des visiteurs. Mais que l’on ne juge pas trop vite des intentions des organisateurs. Ceux-ci ne sont pas totalement dupes de leur théâtre de la nature. Ils énoncent avec justesse comment "une profonde appréciation de la nature commence par une appréciation des représentations de la nature"! Tout est question d’art. Dans ce musée, même les rochers sont typiques et doivent correspondre à une idée du rocher, avec de petits promontoires ici et là… Mais les metteurs en scène du musée auraient dû aussi ajouter que nous aimons une nature que nous pouvons dominer par le regard. C’est le point de vue dans un paysage, sur le bord d’un lac…
Ce sentiment d’une force plus grande que nous (certains parleraient du divin), que la belle et grande nature nous fait éprouver, est le produit d’une position visuelle dans laquelle, en fait, nous sommes, êtres humains, en position de contrôle.
Se pourrait-il que bien avant les OMG, les organismes modifiés génétiquement, il y eût la NME, la nature modifiée esthétiquement? Et cela même dans des zones qui semblent plus sauvages? Au Québec, par exemple, il reste très peu de forêts anciennes qui n’aient pas été dérangées par les activités humaines et ayant de très vieux arbres, dont plusieurs morts jonchant le sol. La grande majorité des forêts dans la zone sud du territoire sont en fait des régions reconquises sur les campagnes ou des terres ayant subi, à un moment donné ou à un autre, une forme de déforestation.
Mais bon, on peut toujours aller au Biodôme voir de quoi ça a l’air. Pour de vrai.
Jusqu’au 7 novembre
À la Bibliothèque Eleanor London (Côte-Saint-Luc)