Edward Burtynsky : Le monument aux héros inconnus
Arts visuels

Edward Burtynsky : Le monument aux héros inconnus

Le photographe ontarien Edward Burtynsky nous livre des images de l’épopée moderne industrielle et post-industrielle où l’homme entreprit de se confronter au pouvoir de la nature.

Voilà un phénomène bizarre. Les photos d’Edward Burtynsky sont presque de l’ordre de l’épopée, avec ses héros exemplaires. Pourtant, certaines composantes semblent faire défaut.

Un des premiers ingrédients de ces épopées anciennes est l’aspect poétique, un ton qui place tout de suite le récit hors du commun, l’élève au-dessus des limites physiques et logiques de notre monde. Mais les images de Burtynsky ne devraient pas être poétiques. Ces dépotoirs où l’on entrepose des monceaux de vieux pneus, de filtres à huile usagés, de carcasses de moteurs, de bouts de ferraille, ces mines encore en fonction ou abandonnées, ces lieux industriels, ces champs pétrolifères, tous ces lieux exhibés par Burtynsky ne semblent pas au premier abord permettre d’obtenir une rêverie éveillée ou d’atteindre un niveau supérieur de conscience. Néanmoins, il y a chez Burtynsky un fabuleux mélange entre la réalité très concrète, très pesante de ces lieux qui existent vraiment et le merveilleux, l’extraordinaire qu’ils donnent à voir dans leur démesure. Sous son objectif, les rivières empourprées de résidus de nickel d’une mine semblent se transformer en coulée de lave d’un volcan en éruption. L’intervention humaine se compare alors aux plus imposants des gestes de la nature. Les ballots de ferraille semblent devenir des montagnes de métal. Comme si, dans le délire des ères industrielle et post-industrielle que nous vivons, avec les détritus incalculables et innommables qu’elles ont produits (c’est un des sujets importants chez Burtynsky), il y avait une dimension supérieure presque grandiose.

TERRE INHUMAINE

Les photos de Burtynsky sont en fait tout à fait sublimes, dans le sens romantique du terme. Elles expriment un paradoxe. Elles sont d’une beauté effrayante, à la fois totalement attirantes et totalement repoussantes. Elles sont à la fois signes de vie et signes de mort. Il y a dans les réalisations monumentales, mais aussi dans les échecs (multiples) de l’ère moderne, une dimension surhumaine, une confrontation entre ce que l’homme est capable de faire et les limites de son pouvoir, entre autres celles de son incapacité à produire sans polluer à grande échelle… Cette modernité a produit beaucoup de bonnes choses, mais en même temps elle est la source de sa possible autodestruction. Il y a chez Burtynsky une réelle poésie (parfois tragique) dans le regard qu’il porte sur cette situation paradoxale. Comme s’il nous racontait des histoires déjà anciennes et déjà mythiques, celles d’un apprenti sorcier ou de la boîte de Pandore…

Mais pour qu’il y ait épopée, il faut plus qu’un niveau poétique. Il faut des héros aux prises avec une série d’aventures. Et là encore, au premier coup d’œil, les photos de Burtynsky semblent faillir. On pourrait même croire qu’elles sont vides de toute présence humaine. Pas de héros ou si peu dans les images de Burtynsky. Ici et là, parfois, des travailleurs qui mettent en pièces de vieux tankers, quelques petites taches qui montrent des ouvriers. Mais sinon, point d’Ulysse ou d’Hercule à l’horizon. Dans ces images qui disent pourtant des projets herculéens, il reste seulement quelques traces de ces héros sans nom qui ont lutté contre les forces de la nature. Voilà pourquoi ces images tiennent plus du tableau d’histoire, du monument au héros que de l’art du paysage. Elles sont les restes d’une grande aventure.

Cette première rétrospective de l’artiste, fils d’un ouvrier ukrainien immigré au Canada, retrace plus de 20 ans de créations, 20 ans de témoignage sur le travail de transformation de la nature par l’homme. Déjà présentée au Musée des beaux-arts à Ottawa (qui a mis sur pied l’événement), cette exposition, intitulée Paysages manufacturés, fait une escale tout à fait justifiée à Montréal avant de partir pour les États-Unis (San Diego, Stanford et New York) en 2005.

Jusqu’au 9 janvier
Au Musée d’art contemporain
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