René Derouin : Voyages intérieurs
Avec sa série Hiver noir, l’artiste René Derouin nous convie à un voyage dans le temps et dans son imaginaire, des premières gravures sur bois du XVe siècle à l’infographie.
Après avoir reçu le prestigieux prix Paul-Émile-Borduas en 1999 et avoir participé à de très nombreuses expositions, René Derouin, artiste peintre, graveur et sculpteur, a traversé un Hiver noir, une période de repli sur soi, une remise en question quant à son rôle d’artiste. Commencent alors pour lui le recensement de ses œuvres antérieures et la difficile tâche de trouver un fil conducteur entre elles. L’artiste explique: "Nous vivons chaque hiver une saison austère où nous sommes confrontés à la solitude, ce qui nous permet de méditer sur ce qui est essentiel dans nos vies." Il partage le fruit de ses réflexions, la somme d’une année de travail, à la Galerie Jean-Claude Bergeron.
Le résultat de ces recherches a mené Derouin à un heureux retour aux sources, soit à la gravure. Ses grandes estampes noires et blanches font écho aux contrastes de l’hiver: la blancheur de la neige et la noirceur de la nuit qui s’allonge. Elles sont composées de riches symboles recyclés par l’artiste à partir de ses œuvres antérieures, entremêlées d’images empruntées aux graveurs qui l’ont influencé et qu’il affectionne particulièrement. On retrouve des représentations d’Escher, de Memdez, de Dosada, de Barlach, de Beckmann, et de bien d’autres. Les gravures sont photocopiées, numérisées, manipulées par ordinateur et intégrées aux images conçues par l’artiste. Le tout est ensuite minutieusement reproduit sur papier. Le visiteur se trouve en quelque sorte devant un historique de la gravure, de l’époque de Gutenberg jusqu’aux techniques modernes de l’infographie. Ou plutôt devant l’interprétation qu’en fait Derouin, toute marquée de son univers allégorique.
La gravure intitulée L’Homme coupé en deux, Zaimer, Richel (1475-1476-1965-2001-2004) intègre une image à l’origine gravée par l’Allemand Zaimer en 1475. Ces dessins anciens côtoient des images contemporaines et expressionnistes créées par l’artiste à partir de techniques d’impression comme la gravure sur bois ou la linogravure. Des larges aplats noirs font contrepoids aux délicates images posées à contre-jour, composant une dentelle respirant les territoires de l’Allemagne, du Japon, des Amériques et de leurs cultures autochtones. Le territoire, c’est justement le fondement de l’œuvre de René Derouin, qui a traversé les États-Unis jusqu’au Mexique à de nombreuses reprises et qui a fait la rencontre de nombreux artistes, avec lesquels il tisse des liens émotifs et culturels. Les échanges culturels nourrissent l’imaginaire galopant de l’artiste.
Les images sont séduisantes. Si elles paraissent froides et simples au premier abord, tels des graffitis, leur complexité et la chaleur que dégagent certaines des images intégrées, surtout celles des graveurs mexicains, deviennent évidentes lorsqu’on s’en rapproche et qu’on les scrute plus en détail. Les titres des œuvres donnent une piste d’interprétation; elles nomment les graveurs dont sont issues les reproductions et mentionnent des dates multiples qui font référence aux dates d’origine des images numérisées. Chaque œuvre renferme une grande quantité d’informations; le visiteur peut s’amuser à la décoder ou choisir tout simplement de se laisser imprégner par le mariage des styles, des époques et des cultures. Malgré les contraintes du noir et du blanc, les estampes de René Derouin vibrent d’une énergie vivifiante. Le remède parfait pour les blues de l’hiver.
Jusqu’au 7 novembre 2004
À la Galerie Jean-Claude Bergeron
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