Les années 60 : Années lumières
L’exposition Les années 60, au Centre canadien d’architecture, fait le bilan de l’époque qui a fondé le Québec moderne.
Depuis quelques années, il est de bon ton, chez ceux qui ont peu de mémoire, de s’en prendre à l’héritage de la Révolution tranquille. Les grandes institutions que les Québécois se sont données (services publics d’éducation et de santé, entre autres) seraient dépassées… L’une des grandes forces de l’expo Les années 60, présentée au CCA, est de montrer comment cette époque nous a donné naissance, a été le réel moment fondateur de notre modernité. Car cette expo ne porte pas seulement sur l’architecture, mais sur l’architecture comme catalyseur de projets collectifs, constructrice de symboles.
Comme le dit Phyllis Lambert dans son texte d’introduction au catalogue, "le Québec moderne naît le 22 juin 1960" avec l’élection de Jean Lesage. Suivront la création des ministères de l’Éducation et des Affaires culturelles, de l’Office du film du Québec, le vote de la loi sur l’égalité juridique des femmes, la constitution du Musée d’art contemporain (à la suite de l’initiative de plusieurs artistes). Puis sera créé le réseau des cégeps et des universités du Québec… Et ce ne sont que quelques exemples de cette révolution qui s’incarnera dans le tissu concret de notre pays et dont Montréal sera le symbole par excellence.
L’exposition commence avec deux images de la ville de Montréal, l’une prise avant ces bouleversements, l’autre juste après. Notre cité est méconnaissable. En un peu plus d’une décennie, ce fut la métamorphose. Et pas seulement par l’ajout de bâtiments prestigieux. Bien sûr, il y a la construction de la Place Ville-Marie, réalisée par Ieoh Ming Pei (celui qui a fait les pyramides de verre au Louvre dans les années 80), de la Tour de la Bourse (par Luigi Moretti, qui a travaillé pour Mussolini à la fin des années 30, mais qui a aussi construit les buildings du Watergate à Washington!), du complexe d’immeubles Westmount Square par Mies van der Rohe ou de la tour de la Banque canadienne impériale de commerce (par Peter Dickinson). C’est, bien sûr, l’époque où se répandent de grands centres commerciaux comme le Centre Rockland ou les Galeries d’Anjou… Mais c’est aussi la période où nous nous sommes donné des infrastructures pour le bien collectif. Par exemple, qu’aurait été Montréal sans sa Place des Arts (inaugurée en 1963)? On construit alors l’Édifice d’Hydro-Québec (par l’architecte Gaston Gagnier), qui deviendra l’un des symboles de la prise en main par les Québécois de leurs ressources naturelles et de leur avenir, à la suite de la nationalisation de l’électricité en 1963. On creuse le métro de Montréal à partir de 1962 (il ouvre en octobre 1966), auquel va se greffer la grande majorité des buildings de la ville, créant un réseau souterrain impressionnant. Le métro permettra la création d’un art public important (œuvres de Mousseau, Ferron…). La ville se ceinture d’un réseau routier imposant: pont Champlain, autoroute Décarie, autoroute Bonaventure, tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine. Il faudrait ajouter l’aéroport Dorval, le grand palais de justice dans le Vieux-Montréal, le centre de commerce Place Bonaventure (petite ville dans la ville qui était, à l’époque, l’immeuble ayant la plus grande superficie au monde), l’édifice de Radio-Canada…
Les années 60 à Montréal, ce sont aussi les Habitations Jeanne-Mance… Eh oui, à l’époque, on construisait en plein centre-ville, à deux pas de la rue Saint-Denis, des logements sociaux. On cherche en vain des éléments de comparaison dans le Montréal des années 2000. Les années 60, c’est encore l’Expo 67 (avec la création de l’île Notre-Dame et l’agrandissement de l’île Sainte-Hélène), qui permit la construction du dôme géodésique de Buckminster Fuller et Shoji Sadao, édifice connu mondialement. La même année, Moshe Safdie réalise Habitat 67, autre bâtiment qui se retrouve dans la majorité des livres d’histoire de l’architecture.
Montréal était alors à la fine pointe de l’architecture moderne. Dans une trentaine d’années, serons-nous aussi fiers des années 2000?
Jusqu’au 11 septembre 2005
Au Centre canadien d’architecture
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OLIVO BARBIERI AU CCA
Bien souvent, on connaît mal l’architecture de sa propre ville. Dans le cas de cette expo au CCA sur les années 60, il aura fallu le photographe italien Olivo Barbieri et ses images magiques pour venir nous montrer Montréal sous un nouvel angle. En entrant dans la salle octogonale du CCA, au premier coup d’œil, j’ai cru à des clichés de maquettes, à des documents réalisés par des firmes d’architectes pour rendre visibles leurs projets à leurs clients. Dans ses vues de Montréal, tout semble précieux et fragile, les bâtiments ont l’air d’être faits en balsa et en carton bristol, les arbres, en coton teint d’un vert trop lumineux, les étendues d’eau, en verre bleuté électrique. Les voitures et camions y ressemblent à des petits jouets pour enfants. Le flou en périphérie des images semble être là pour masquer les zones de la maquette qui n’ont pas été réalisées. Et puis, je me suis aperçu que quelque chose clochait… Barbieri est un expert en tromperie. Il réalise ses photos un peu surexposées en hélicoptère, à une altitude variant entre 90 et 150 mètres. De là-haut (comme on peut parfois le ressentir en avion), le monde devient presque rien, minuscules créations de fourmis. Au-delà de la curiosité esthétique, ces images sont intéressantes car elles sont au croisement du 2D et du 3D, des cartes volumétriques qui mettent en valeur les espaces entre les édifices. Les places publiques et les ensembles architecturaux se perçoivent avec toute leur cohérence ou leur incohérence. (N.M.)
Jusqu’au 13 février 2005
Au Centre canadien d’architecture
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