Arts visuels

Isaac Julien : Victime de la mode

Isaac Julien nous propose un cinéma à la poésie souvent trop simpliste sur l’identité noire.

Déception devant les installations vidéo du Britannique Isaac Julien au Musée d’art contemporain (MAC). J’avais peut-être entendu parler de son travail d’une manière trop élogieuse? Certains critiques le désignent en effet comme un digne héritier de l’avant-garde. D’autres reconnaissent en lui un important représentant du "queer cinéma", appellation qui ne veut pas seulement dire qu’il y a un contenu gay dans ses films, mais qui veut aussi énoncer que son travail parle de marginalité d’une manière singulière et même provocatrice. En guise de "queer cinéma", je n’ai vu qu’un propos très raisonnable et une manière de filmer très proprette, je dirais même très straight. Ce n’est pas une présentation sur écrans multiples, telle qu’un certain cinéma l’a pratiquée (pensons, bien sûr, au Napoléon d’Abel Gance en 1927 et à son idée de polyvision, à Andy Warhol avec, entre autres, Outer and Inner Space en 1965 et Chelsea Girls en 1966, ou même à Jean-Luc Godard avec Numéro deux en 1975), qui fait le style avant-garde. Depuis plusieurs décennies (et en particulier depuis les années 90), les écrans multiples sont utilisés constamment. Pensons à Doug Aitken, Bill Viola, Gary Hill… La Documenta 11 à Cassel, en 2002, fut envahie par cette manière de faire, utilisée pas seulement par des artistes révolutionnaires!

Il faut aller voir le travail d’Hannah Collins chez VOX puis celui de Julien au MAC pour juger de l’ampleur des forces de l’une et des faiblesses de l’autre. Autant l’une utilise une série d’écrans pour créer une polyphonie visuelle et narrative, autant l’autre se sert de projections simultanées juste pour évoquer une ambiance poétique à la syntaxe vraiment simple, constituée principalement de rimes visuelles et d’effets de miroirs. Autant Collins sait parler des marginaux d’une manière sentie et authentique, autant Julien tend souvent vers une esthétisation, si ce n’est simplement vers la joliesse.

Dans les trois œuvres de Julien qui sont présentées, le spectateur arrivera à identifier des trucs visuels redondants et plutôt faciles. En particulier, on se lasse vite des faux effets dramatiques qui, au début, apparaissent intrigants, tels ces personnages marchant à pas mesurés dans des espaces démesurés… Et puis cela frôle vraiment trop souvent l’image de mode.

Son œuvre True North en est le meilleur exemple. Le propos n’est pourtant pas inintéressant au départ. Comme dans les deux autres installations, Julien met l’accent sur l’histoire des Noirs (souvent reléguée aux oubliettes). Dans ce cas-ci, il se réfère à l’expédition au Pôle Nord de Matthew Henson, maintenant considéré comme le codécouvreur du sommet du monde avec Robert Peary (et quatre Eskimos malheureusement non identifiés…). Certains auteurs écrivent même que Peary aurait fait une pause et que Henson aurait seul parcouru les quatre derniers milles le séparant de son but… Pourtant, la majorité des livres d’histoire ont retenu le seul nom de Peary! Tout cela est très important, mais le résultat, trop typé et trop léché (avec ses immenses étendues de neige et son hôtel de glace en prime), tient trop de l’image de pub pour touristes. En fin de projection, j’attendais presque le logo de Tourisme Canada!

Jusqu’au 9 janvier 2005
Au Musée d’art contemporain

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