Michel Goulet : Ceci est une table
Trente ans de création, des sculptures qui interpellent le quotidien et qui posent un regard critique sur sa représentation… Voilà la rétrospective de Michel Goulet.
"Je ne voudrais pas que l’art soit imperméable à la vie. Je ne voudrais pas que la vie soit imperméable à l’art. Par contre, faire une œuvre n’est pas rendre compte ni raconter. C’est d’abord mettre en forme une idée de manière à lui faire perdre son enveloppe anecdotique, la rendre universelle et en faire un objet autonome, quelquefois poétique."
C’est par ce court, mais important énoncé de principe, placé à l’entrée de l’exposition, que débute la rétrospective de Michel Goulet au Musée d’art contemporain (MAC). Voici un projet qui se place sur le fil du rasoir. Chez Goulet, il y a un double mouvement. Son œuvre travaille à dépouiller, à nettoyer les objets de l’ordre social qu’ils véhiculent, à "faire perdre son enveloppe" symbolique et presque mythologique au monde qui nous entoure. Mais elle amène aussi quelquefois vers une autre dimension, un sens supérieur, parfois, mais pas toujours, poétique. À cet égard, j’étais bien content que Goulet ne revendique pas nécessairement ce rapport à la poésie. Ce mot est devenu un fourre-tout convenable pour dire que l’artiste est un rêveur et l’œuvre d’art une belle utopie… Le mot poétique a tellement été utilisé qu’il en a perdu son sens et son impact. Parfois les mots s’usent. Et puis l’œuvre de Goulet qui me semble la plus pertinente est certainement celle qui évite le poétique.
GOULET/GOULET
Il y a une dualité dans la création de Goulet. Les titres de ses œuvres en sont l’écho (La Table et le tableau, Mouvements et motions, Tour/Tours…). Et le titre de l’expo (Part de vie Part de jeu) pointe cela [PP1]avec justesse. Pour moi, il y a donc deux Michel Goulet (qui se mélangent parfois). Celui qui ajoute un supplément de signification, qui rend souvent les objets du quotidien plus beaux ou plus intelligents, porteurs d’un sens qui serait caché et qui se trouverait mis à jour par l’acte re-créateur de Goulet. Ce Goulet-là me touche moins, parfois même il m’agace un peu dans sa bienveillance, dans son désir de rendre au monde une signification plus belle. Et puis, il y a le Goulet qui appauvrit la représentation, qui met à plat les jeux de son dispositif mensonger, comme lorsque l’on fait éclater un ballon. Là, Goulet tente de libérer les objets de leur gangue ou tout simplement de leur joliesse pour les ramener à la réalité. Le pessimiste en moi y trouve peut-être son compte. C’est ce Goulet que j’aime. Pour paraphraser Roland Barthes, j’aime quand Goulet va vers le degré zéro de la représentation.
Lorsque Goulet ajoute du sens (sculpture par ajouts, pourrait-on dire), comme dans Mémoires mensongères, il me semble rater un peu sa cible. Ce volume de l’encyclopédie Grolier (structure que Goulet avait déjà utilisée dans Faction/factice quelques années plus tôt), placé sur un fusil, me dit trop simplement comment le savoir, l’histoire, et même l’histoire de l’art appartiennent à ceux qui ont le pouvoir. Tout comme ce lit tenu sur un camion d’enfant et apposé à une échelle (dans Trophée de 1986) me semble vouloir trop simplement parler (et d’une manière trop littérale) du rêve et de l’accès qu’il nous offre à un niveau supérieur de conscience.
J’aime les pièces de Goulet, anciennes et récentes, qui ramènent le monde au réel, à sa structure énonciatrice (sculpture par extraction) et à ses représentations. Et même si parfois la référence à Jasper Johns (avec Boîte angle ou Boîte cible) n’est pas assez renégociée.
Dans Autour/atours (1983), table de cuivre se dressant sur un plan de celle-ci, l’œuvre permet de réfléchir l’image, la réalité, l’image de la réalité et la réalité de l’image. Cette pièce appartient à une série de Goulet que j’apprécie particulièrement. Dans la même veine, vous pourrez voir au MAC Tour/Tours ainsi que Modèles. J’aurais aimé aussi y voir Fac-similé, jeu de tables, mise en abîme d’une multitude de tables, tenant [PP2]des poupées russes. Je trouve aussi très pertinente la pièce Jardiniers et jardins du monde, composée de 50 000 prénoms du monde entier. Là, dans l’espace de 4 panneaux-répertoires, Goulet embrasse le monde avec une approche factuelle, presque pauvre, mais qui rend pourtant bien le sentiment de réduction (qui est peut-être un effet du mondialisme) que nous vivons actuellement par rapport à la planète. Et puis, il faudrait parler de la pertinence de pièces comme Lieux interdits IX, Table de travail, Vivre sous plusieurs bannières…
Jusqu’au 3 avril 2005
Au Musée d’art contemporain
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