Le secteur des arts visuels : Épée de Damoclès
Le secteur des arts visuels en a vu de toutes les couleurs durant les 12 derniers mois. Rétrospective des temps forts et moins forts de l’année.
En 2004, le milieu de l’art fut bien inquiet. Plusieurs coupures semblaient s’annoncer dans les budgets des arts des gouvernements provincial et fédéral. C’est le MAL, le Mouvement pour les arts et les lettres, représentant plus de 15 000 artistes et travailleurs culturels, qui tira la sonnette d’alarme en début d’année. Il fut suivi par la Société des musées québécois qui, en février et mars, signala la précarité grandissante de ses membres en faisant imprimer des cartes postales préadressées au premier ministre Jean Charest et portant le slogan "Pour que les musées restent vivants – Contre le sous-financement des musées". Les rumeurs allaient bon train: à Québec, les libéraux allaient sabrer dans les dépenses du ministère de la Culture et des Communications; la Grande Bibliothèque à Montréal était en train de dévorer les fonds déjà limités…
Fin mars, le dépôt du budget provincial rassura un peu le milieu, qui s’attendait au pire, mais ne fit pas pour autant baisser la garde aux artistes. Ceux-ci ont continué de veiller et au moindre bruit qui a couru, ils se sont montrés prêts à réagir. Cet automne, une pétition (comportant une centaine de noms) a circulé via Internet pour que le gouvernement libéral ne coupe pas dans les cours à option au secondaire. S’agit-il d’une simple rumeur? Rien pour l’instant ne semble l’étayer, mais comme beaucoup d’artistes créent et mangent grâce à leur emploi dans l’enseignement, il y a fort à parier qu’en 2005, le milieu des arts surveillera attentivement le gouvernement pour voir si ces ouï-dire sont fondés.
Cet automne, les regards étaient aussi tournés vers le fédéral avec la réforme du Conseil des Arts du Canada (CAC), qui va, entre autres, remplacer les catégories habituelles pour l’octroi des bourses. Le RAAV (Regroupement des artistes en arts visuels) a dénoncé ce changement d’orientation du CAC et comment "le nouveau programme proposé transformerait clairement le soutien à la création en un soutien à l’exposition". Le RAAV croit que "le Conseil amorce un virage carriériste, qu’il veut favoriser des carrières exceptionnelles plutôt que la création d’œuvres exceptionnelles".
Ce regroupement d’artistes a donc lui aussi lancé une pétition (www.raav.org/petition.html) et une carte postale adressée au CAC où l’on peut lire: "Nous sommes inquiets… Pourquoi ce virage?" S’agit-il d’une manière de déguiser des coupures de budget? Avec des surplus budgétaires toujours croissants au fédéral, toute nouvelle coupure sera sûrement difficile à avaler par le milieu de l’art. Un dossier à suivre.
ÉVÉNEMENTS MARQUANTS
Parlant de pilule, l’année avait en effet commencé sous ses auspices avec une expo remplie de médicaments de Shawn Bailey à la Galerie Articule. Celui-ci souhaitait dénoncer l’industrie des médicaments qui "dépend de la découverte de nouvelles maladies, déficiences, désordres ou syndromes". Il n’a pas été le seul artiste à avoir un solo marquant en 2004. Il faudra aussi se souvenir des prestations de la vidéaste Manon De Pauw (à la Galerie Sylviane Poirier), du graveur René Donais (Atelier circulaire et Centre Clark), du peintre François Lacasse (Galerie René Blouin), du vidéaste Nelson Henricks (dans la salle Zone libre du Musée des beaux-arts), des artistes multidisciplinaires Dominique T. Skoltz et Herman W. Kolgen (à l’Usine C) et du photographe Edward Burtynsky au Musée d’art contemporain (MAC), musée qui nous a aussi proposé une importante expo collective intitulée "Nous venons en paix…" (avec Raphaëlle de Groot, Ruben Ortiz-Torrez, Jim Mendiola, Cristian Silva…).
Et puis, l’Espace VOX nous a offert une des meilleures expos de l’année, celle d’Hannah Collins avec son film multiécran portant sur les gitans en Catalogne. VOX, qui a déménagé en mai dans un local (ancien peep-show) boulevard Saint-Laurent, en a profité pour changer d’appellation et pour devenir un lieu dédié à l’image contemporaine plutôt qu’uniquement consacré à la photo. Voilà une transformation qui symbolise bien la fin de la spécificité des médiums à l’ère post-moderne.
Septembre fut l’un des mois les plus remplis de l’année, à la fois de grands moments d’espoir, mais aussi de déceptions.
Le MAC a finalement eu un nouveau directeur, né à Sudbury, ayant fait des études à Montréal mais ayant travaillé à Toronto et aux États-Unis. Marc Mayer a commencé son mandat en promettant de bien gérer le musée, d’améliorer les collections et de tout faire pour attirer encore plus de visiteurs. Mais Mayer a aussi refusé (pour l’instant) de diriger directement des expositions. Espérons qu’il change d’avis et qu’il laisse son empreinte avec une sélection d’exposants remarquables. C’est ce dont le musée a le plus besoin. Toujours en septembre, eut lieu la pire Biennale de Montréal. Un manque d’argent et d’artistes importants et innovateurs en a fait un événement raté.
Enfin, en novembre, le Musée des beaux-arts nous a dévoilé sa programmation pour les années à venir, dont des expos du peintre Girodet-Trioson en 2006 et sur Walt Disney en 2007… Avec l’expo Cocteau cet été, le MBA, sous la direction de Guy Cogeval, s’affirme encore plus comme un des premiers, sinon le premier musée au Canada!