Revue de l’année : Une année dans une page
Revoir 2004, c’est repenser à ces œuvres au contact desquelles s’exerce cette fantastique faculté qui permet d’apprécier à la fois Picasso et Rubens, l’art chaotique d’un Monty Cantsin ou celui d’un jeune sculpteur inconnu.
De tous les Millet à Matisse et autres bronzes de Cordier qu’on a eu la chance d’apprécier, c’est la sobre présentation des aquarelles de Benjamin Fisher qui reste en mémoire dans l’abondance de cet hiver 2004. Les vues topographiques du militaire britannique présentées au Musée national des beaux-arts du Québec, découvertes comme un trésor oublié, ont fasciné les connaisseurs et intrigué le public. Au printemps, c’est l’exposition collective La Disparition qui s’est s’imposée avec évidence. Le centre Vu a fait voyager un ensemble d’œuvres du Québec en Pologne, devenant ensuite l’hôte des artistes polonais. L’événement a notamment mis en valeur le travail de Jocelyne Alloucherie, récipiendaire du Prix Paul-Émile-Borduas de 2002. Cette année a donc aussi été celle d’Alloucherie, dont on voit trop rarement le travail à Québec. Ses photographies ont d’ailleurs été présentées plus récemment à la Galerie Esthésio.
Puis, comment l’oublier, l’incontournable exposition de l’été: Picasso et la céramique, présentée actuellement à Toronto. Difficile pour une production de passer inaperçue coiffée d’un nom pareil. Picasso ne laisse personne indifférent! La céramique est à la hauteur de l’œuvre du maître catalan. Le beau catalogue publié en collaboration avec le musée de la Grande Allée en reste le témoin apprécié. Puisqu’il est question de céramique, profitons-en pour rappeler que le tout dernier récipiendaire du Prix Borduas, le céramiste Maurice Savoie, présentait une importante exposition chez Materia en mai dernier. Un parcours alchimique rassemblait un ensemble impressionnant de céramiques joyeuses et débridées. Nous en avons alors parlé plutôt rapidement dans ces pages… Mea culpa!
Il y a les honneurs et les hommages. Tel celui, essentiel, fait à Michel Parent: Extraits 1964-2004, présenté à la Galerie des arts visuels de l’Université Laval en avril. L’exposition aura fait apprécier le travail de cet artiste qui a marqué l’enseignement de l’art à Québec. Au début de l’automne, l’hommage à Madeleine Lacerte, à la Maison Hamel-Bruneau, arrivait à point nommé pour cette galeriste et collectionneuse d’art passionnée.
C’est toujours avec bonheur qu’on se rend à la Galerie Le 36; l’année 2004 l’a encore prouvé. Le jeune sculpteur Jean-Philippe Roy nous a ravis, en mars, avec son exposition de sculptures Les Oiseaux, l’Arbre, la Montagne (bis). Jeux de miroirs dans l’espace de la petite galerie, les sculptures et leurs doubles étaient dignes de cette expérience qu’on appelle "esthétique". Enfin, il faudrait rendre ici un discret hommage à l’artiste Pierre Hamelin, qui est disparu l’été dernier. Sa production était empreinte d’une poétique des matériaux qui n’appartenait qu’à lui.
La participation de Monty Cantsin à la Rencontre d’art performance du Lieu, en septembre, aura été un des grands moments de cette édition de la biennale d’art action. Un moment intense où le public assistait à ce qu’on pourrait appeler un classique du genre. Un public manifestement heureux d’être à Rouje ce soir-là et nulle part ailleurs. La famille Kantor – Monty Cantsin et ses acolytes, dont ses deux enfants – y avait organisé un chaos orchestré par un chef de famille pour le moins original. L’ancien ambulancier, qui a fait de l’hémoglobine sa marque de commerce, signant ses tableaux à coups de seringue remplie de sang, s’est aspergé ce soir de septembre de jus de betterave. Certains diront que l’homme s’est assagi. Peut-être. Reste que Monty Cantsin est maître de son art. Pas étonnant qu’il ait reçu (et accepté) le Prix du Gouverneur général au printemps 2004.
L’exposition Copyright Rubens se poursuit jusqu’au 9 janvier prochain au MNBAQ. L’ensemble de gravures est substantiel. Il faut l’aborder comme le ferait un historien de l’art ou, à tout le moins, avec une curiosité pour les récits bibliques et mythologiques. Rubens avait cette remarquable capacité de choisir des moments tout particuliers de ces récits. Cette exposition rappelle aussi combien le Musée national joue un rôle déterminant dans la vie culturelle de Québec et du Québec, défendant avec une égale conviction l’art ancien comme l’art plus récent (à cet égard, l’hommage actuel à Betty Goodwin et à son œuvre grave et profonde reste un must). L’année 2004, c’est aussi celle de l’actuel directeur du Musée national. John R. Porter ne cesse d’accumuler les prix et les distinctions. Le dernier et non le moindre: le Prix du Québec du patrimoine (Prix Gérard-Morissette), nous rappelant que la nourriture dont l’esprit a besoin se trouve autant dans l’art du passé que dans celui du présent.