3 x 3 : Matière première
L’expo 3 x 3 nous permet de juger de la pertinence, encore de nos jours, de l’art minimaliste.
De nos jours, l’ironie est partout. Duchamp nous a fait une bien méchante blague… Son héritage est omniprésent, mais son art n’a plus la fonction contestataire qu’il avait. L’ironie corrosive, dont il faisait preuve, n’est pas un concept transhistorique (il en existe bien peu). Elle fonctionnait encore chez Warhol, où elle avait un aspect contestataire indéniable. Elle n’est plus que pose affectée et narcissique jouée par des artistes (ou des collectionneurs) bourgeois. Pourtant, l’ironie dadaïste se devait de ridiculiser ce même bourgeois et son rapport superficiel à l’art. Chez des artistes comme Jeff Koons (ou chez la peintre Lisa Yuskavage), l’ironie a été récupérée pour ne devenir que pirouette, humour léger, incapacité à prendre parti et à dire quelque chose de vraiment profond.
Que faut-il opposer à cette attitude? Une des voies importantes est l’art minimaliste. Certains diront que je radote, que depuis au moins cinq ans je reviens sur cette idée, mais je crois encore à son absolue pertinence, et ce, même si déjà plusieurs artistes s’en inspirent ici et ailleurs. Il y a dans l’art minimaliste une réflexion sur la matière ainsi que sur l’espace de la galerie ou du musée (et du coup sur l’espace public) qui instaure une fonction critique encore totalement efficace. L’expo qui se tient ces jours-ci à la Galerie Leonard et Bina Ellen (de l’Université Concordia) nous permet d’en juger, encore une fois.
Cela débute avec ce plancher formé de 144 carrés de cuivre posés sur le sol (et sur lesquels le visiteur pouvait encore marcher, il n’y a pas si longtemps). En permettant aux gens de marcher sur l’art, Carl Andre ramenait l’art à la vie (ça sonne lyrique et utopique, mais c’était le cas). Andre envisageait la sculpture comme créatrice d’espace et non de formes (et encore moins d’objets). J’ai souvent vu dans les musées des gens hésiter, regarder le gardien à plusieurs reprises, avant de timidement avancer un pied sur ces carrés de métal. Par ce geste, le spectateur devenait lui-même performance. Il prenait soudainement conscience de ses gestes et attitudes. Il pouvait alors voir comment le tissu social lui impose une manière d’être dans son corps autant dans un musée ou une galerie d’art que dans la rue.
L’art d’Andre, mais également celui de Donald Judd (dont une œuvre nous interpelle un peu plus loin), est avant tout aussi présence de la matière, de matériaux pauvres qui évoquent parfois l’industrie et le travail de la construction. Un rappel des éléments de base du monde qui nous entoure. Brique, cuivre, bois, aluminium, contreplaqué sont les matériaux du minimalisme. Et à travers cet apparent appauvrissement, c’est à un décapage de l’art de l’illusion, que même l’abstraction provoque malgré elle parfois (par exemple, par les effets de profondeur dus aux couleurs), que nous convient ces artistes. Il y a dans la majorité des œuvres minimalistes une absence de représentation, une présence du là maintenant qui est tout à fait politique.
J’y reviendrai.
Jusqu’au 19 février
À la Galerie Leonard et Bina Ellen
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