Hommage à Jean Paul Lemieux : Moi et l’univers
Hommage à Jean Paul Lemieux est une exposition aussi exceptionnelle qu’essentielle. C’est à une expérience de la peinture et à bien plus que nous convie le Musée national des beaux-arts du Québec.
Pourquoi encore Lemieux? Parce que sa peinture est inépuisable. À voir l’actuelle exposition au Musée national des beaux-arts du Québec, on se laisse totalement convaincre: la peinture de Jean Paul Lemieux (1904-1990) supporte le passage du temps. Et cela ne fait pas de doute pour le directeur du Musée, John R. Porter: "L’œuvre de Lemieux se prête bien aux relectures. C’est une peinture qui n’a pas vieilli. Ce sont des tableaux d’une modernité incroyable. Certains sont d’un minimalisme qui frôle l’abstraction!" renchérit-il. En outre, cette exposition est une rare occasion qui nous est offerte de voir un ensemble aussi remarquable d’œuvres du peintre (une cinquantaine de tableaux et de dessins judicieusement choisis), pour la plupart réalisées dans les décennies 1950 et 1960 – les meilleures années de Jean Paul Lemieux.
Ce n’est pas la première exposition d’envergure consacrée au peintre. Déjà dans les années 70, puis au début des années 90, les musées présentaient des expositions rétrospectives de l’art de Jean Paul Lemieux; d’autres ont fait voyager son œuvre. D’abord présentée au Musée des beaux-arts du Canada, l’actuelle exposition que présente le MNBAQ a la touche de son directeur, qui a tenu à valoriser une présentation thématique qui sert pertinemment l’œuvre de l’artiste. Un espace au design audacieux permet d’apprécier les tableaux de nuit; une salle est consacrée aux scènes hivernales. Les tableaux comme la présentation sont superbes.
Cette exposition permet de mesurer l’importance de la peinture de Lemieux. Une partie des tableaux, dont plusieurs chefs-d’œuvre du peintre, proviennent de collections particulières. Ce sont des tableaux qu’on a rarement l’occasion de voir. L’exposition rassemble aussi des œuvres des collections du Musée national des beaux-arts du Canada, du Musée d’art contemporain de Montréal et du MNBAQ.
Dans les années 50, après maintes expositions, des années de production, d’enseignement et de critique d’art, Lemieux devient très populaire (il participe notamment à la Biennale de São Paulo en 1957, puis à celle de Venise en 1960). Comme l’explique John R. Porter, "c’est à partir de la cinquantaine que Jean Paul Lemieux s’est "trouvé"… Il a su se renouveler après des décennies de peinture". C’est à ce moment qu’il acquiert cette manière si personnelle et si caractéristique avec laquelle il a su rendre l’essence de ce qu’est vivre au Québec, à Québec. Quand on pense à Jean Paul Lemieux, il est presque impossible de renoncer aux sempiternels discours sur "nos grands espaces". En effet, Lemieux a su mieux que personne les reconnaître et les représenter. Mais encore, il a su transmettre dans sa peinture un état d’âme, une part de notre identité, une certaine façon d’être, de vivre l’hiver, de sentir l’espace et la lumière. "C’est une peinture-miroir", précise encore fort à propos John Porter. En effet, les figures schématiques, pour ne pas dire génériques, qu’on retrouve dans plusieurs de ses tableaux, nous pouvons en endosser l’identité. Le tableau Julie et l’univers, c’est aussi Nathalie et l’univers, Annie et l’univers!
Quand on lui demande comment on peut apprécier à la fois la peinture de Jean Paul Lemieux et celle de Jean Paul Riopelle, John Porter a encore et toujours une réponse convaincante: "Ce sont deux aspects de notre identité, deux facettes de nous-mêmes. Riopelle, c’est la fougue et l’exubérance. Lemieux est plus intime, réservé." Ainsi, ce Jean Paul Lemieux "de nature mélancolique", tel que le décrit sa fille Anne-Sophie Lemieux dans le catalogue d’exposition, se révèle un peu plus dans son unique et troublant autoportrait peint en 1974. Le peintre s’y est représenté à trois âges, entouré de deux tableaux. John R. Porter a eu l’excellente idée de rassembler – sur une même cimaise – les deux œuvres mises en abyme dans Autoportrait. Ce "théâtre", comme se plaît à le nommer le directeur et où cohabite pour une première fois Autoportrait, Le Visiteur du soir (1956) et Le Cavalier dans la neige (1967), est un des grands moments de ce vibrant hommage à Jean Paul Lemieux.
Pour témoigner de la grandeur de la peinture de Lemieux, quoi de mieux que de relire les mots d’Anne Hébert, dont la prose honore l’œuvre du peintre. En voici un extrait tiré de l’introduction du catalogue sur Jean Paul Lemieux (Moscou, Leningrad, Prague, Paris) publié en 1974: "Il nous faut faire le silence en nous, ce silence profond qui nous permet seul d’entendre le prodigieux silence de l’univers, à la fois austère et splendide, de Lemieux. Plus que le silence, c’est l’invisible qui rôde, qui demande à être capté par nous…"
Jusqu’au 24 avril
Au Musée national des beaux-arts du Québec
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