Emmanuelle Léonard : Travailler son image
Chez Occurrence, Emmanuelle Léonard nous propose d’embrasser en un seul événement l’histoire de l’image du 20e siècle et du début du 21e siècle.
Emmanuelle Léonard se prend-elle pour Bill Gates? Rappelons que ce dernier a acheté, il y a quelques années, la célèbre collection de photos d’archives Bettmann (on parle de 11 millions de clichés) afin de l’entreposer (de la "conserver") 200 pieds sous terre… Tout comme lui, Léonard semble vouloir s’approprier (avec des moyens différents et bien sûr plus limités…) le monde de l’image. Dans cette expo, intitulée J’appelle l’Inquisition (Autoportraits), elle enquête sur toutes les formes de représentations, les questionne, les oblige à lui livrer leurs secrets et se les approprie. Et du coup, elle se penche sur ce concept très flou du pouvoir de l’image que presque tous glorifient ou critiquent négativement, sans jamais vraiment en évaluer la pertinence.
En premier lieu, Léonard nous offre donc un répertoire des différents types d’images. Dans cette expo, vous retrouverez un film super 8, de la photo numérique, de la photo réalisée à partir d’un négatif, de l’image créée par ordinateur… Mais Léonard fait plus que cela. Elle réalise aussi un répertoire des usages de ces images. Vous y retrouverez des images s’apparentant à celles montrant des faits divers (tels qu’on les retrouve dans certains types de journaux jaunes ou tabloïds populistes et démagogiques), des images ludiques, oniriques et cathartiques de jeux vidéo, des images autoreprésentationnelles parfois dignes de l’autoportrait, des images proches du documentaire…
Mais Léonard est une artiste bien maligne. Elle sait comment l’image est aussi un univers d’émotions floues plus qu’un sens précis, un espace jouant sur notre rapport affectif à la mémoire et surtout à la perte de mémoire. Et c’est en fait l’élément le plus fort de l’installation plurivisuelle de Léonard. Elle joue sur l’affect des images. Et parfois c’est extrêmement efficace. Ce film super 8 montrant un vieil homme qui nous dit au revoir évoque plein de choses, mais nous laisse surtout perplexes. Il dit davantage adieu au monde qui l’entoure, à la mémoire, à cette idée que les images peuvent conserver vraiment la trace du monde, qu’à une personne en particulier.
Et c’est là le retournement profondément spectaculaire que réalise Léonard avec pourtant des moyens très simples et une expo assez dépouillée (il aurait certes pu y avoir un peu plus d’images, mais la démonstration fonctionne très bien ainsi). Ces images, comme toutes celles que nous produisons, n’ont en fait aucun sens par elles-mêmes. Une image (et le texte souffre lui aussi de cette limite) ne trouve son sens que dans son usage et dans le contexte social de sa réception. Voilà qui a de quoi nous troubler au plus profond de nous. Il n’y a rien qui survive à une époque et à la mort. Rien qui nous permette de survivre à notre propre mort. Tout s’envole un jour et même la photo ne peut nous protéger de cette disparition. Comme l’a dit Roland Barthes (un des auteurs les plus actuels même s’il est souvent utilisé d’une manière banale): il suffit de deux ou trois générations pour que nos photos personnelles ne soient plus reconnues par personne. Et il en est peut-être ainsi aussi de toutes les images qui changent de sens avec le temps et les générations et qui se trouvent redéfinies (ou pas) par les générations qui suivent. C’est le juste constat que dresse d’ailleurs Nathalie de Blois dans le texte du catalogue lorsqu’elle dit que "l’ambivalence du document photographique relève à la fois des circonstances de production comme de la perception et de l’interprétation".
Une expo d’un grand intérêt même si trop d’importance a été donnée à l’image des jeux vidéo, qui me semble occuper un peu trop notre champ de réflexion sans pour autant représenter un véritable changement profond de la nature de l’image. Léonard est une grande photographe qui n’a pas besoin de cette mode pour nous montrer sa contemporanéité esthétique et intellectuelle.
Jusqu’au 26 février
À l’Espace d’art et d’essai contemporains Occurrence
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