William Kentridge : Image fantôme
William Kentridge fait une œuvre de mémoire qui peut sembler sombre, mais qui est surtout une forme d’exorcisme et de recouvrement du bonheur. Fabuleux.
L’artiste sud-africain William Kentridge est une des grandes figures de l’art contemporain. Pourtant, il va à contre-courant de plusieurs de ses tendances les plus in. Il ne va pas chercher son inspiration dans la mode, ses photos publicitaires, ses atmosphères sophistiquées. Chez lui, rien de super luxueux ou de faussement pauvre. Tout est fait avec peu de moyens, mais se révèle d’une richesse visuelle impressionnante. Chez Kentridge, rien non plus de dadaïste, de pop art, en relation avec l’ironie. Ses sources d’inspiration sont plutôt les expressionnistes allemands (Beckman et Grosz, entre autres) et leurs œuvres qui abordent à bras-le-corps la douleur profonde des êtres, entre autres celle vécue par les individus durant les guerres ou par les démunis dans leur exploitation par les riches. Kentridge parle en effet de la guerre, des rapports de pouvoir ainsi que de la condition ouvrière et de l’apartheid… Il ne s’inspire pas non plus des nouvelles technologies. Bien au contraire, il fait avec des moyens très modestes, presque archaïques, des œuvres qui ont un aspect résolument ancien.
En conférence de presse, William Kentridge expliquait l’une de ses sources d’inspiration: le travail du Canadien Norman McLaren. Il se rappelait avoir vu à Londres, alors qu’il avait à peu près 12 ans, plusieurs des films que celui-ci réalisa à l’ONF, entre autres Voisins (1952), mais aussi d’autres créés juste par grattage sur la pellicule.
Cette économie de moyens présente chez McLaren, on la retrouve chez Kentridge qui, dans ses films d’animation, se sert tout simplement de dessins faits au fusain, qu’il modifie lentement devant une caméra captant chaque intervention durant quelques instants. On est bien loin des effets spéciaux du cinéma américain!
Les sept projections vidéo qui rendent hommage au cinéaste français Georges Méliès sont un des clous de cette exposition et un autre exemple de cette économie de moyens. Dans une même salle, sept écrans donnent à voir en même temps des procédés cinématographiques très simples (Kentridge parle de "Stone Gar filmmaking"). Les vidéos (au départ, des films 16 mm et 35 mm), intitulés Journey to the Moon et Day for Night, sont deux absolues merveilles. Comme chez Méliès, tout devient propice à l’invention visuelle. Une cafetière devient une capsule spatiale, des tasses à café se transforment en lunettes télescopiques, des fourmis qui circulent comme des satellites ou des étoiles filantes s’agglutinent dans du sucre et se mettent du coup à dessiner des constellations. Même le dispositif multi-écran est une réussite qui déjoue notre désir de posséder en un clin d’œil l’œuvre d’art. Une intervention extraordinaire.
Au moins une autre salle me semble exceptionnelle, celle de Shadow Procession (1999). Vous y verrez entre autres une procession d’éclopés, silhouettes découpées montrées grâce à des ombres chinoises. La bande-son a été fabriquée avec des enregistrements de ralliements politiques des années 90 en Afrique du Sud. Une pièce qui semble parler de l’oubli dans un pays où l’on a peut-être souhaité trop rapidement jeter un passé gênant, et en même temps un monument aux antihéros, à leur victoire. Une œuvre politique qui tente de faire réagir les gens? "C’est idiot de croire qu’on peut savoir comment les gens réagissent aux œuvres", me dit-il avec justesse. Une œuvre d’une grande maturité qui joue avec les souvenirs, les jeux de l’enfance, la mémoire collective, en faisant des associations libres (comme en psychanalyse) toujours très judicieuses.
Voici un moment très faste au Musée d’art contemporain, comme on en a rarement vu. Cette expo de William Kentridge et celle, Ondulation, élaborée par le trio de Mikko Hynninen, Emmanuel Madan et Thomas McIntosh sont d’un niveau artistique exceptionnel.
Jusqu’au 24 avril
Au Musée d’art contemporain
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