Nicole Gingras : Ce qu’il reste de nous
La commissaire Nicole Gingras propose une expo sur la notion de trace. De très bonnes pistes.
Faut-il présenter Nicole Gingras? Elle est une des commissaires les plus intéressantes au pays. Depuis près de 20 ans, elle a proposé des expositions qui ont toujours été plus qu’un simple rassemblement d’œuvres pour être à la fois des instruments de réflexion et une mise à l’épreuve de concepts théoriques. Une attitude assez rare. La liste des expositions qu’elle a ainsi élaborées est longue: Le corps vacant au Musée d’art contemporain en 91; Les absences de la photographie à l’Institut Goethe en 94; présentation de Donigan Cumming aux Cent jours d’art contemporain en 93, de Raymonde April au Musée d’art de Joliette en 97, de Jacques Perron chez Oboro en 99…
Gingras poursuit sa réflexion avec Tracer, retracer. Sept artistes nous y parlent du rapport entre notre corps et la mémoire, et du coup avec le concept d’histoire. Une expo où le son joue un grand rôle (un sujet de réflexion très actuel) et qui interpelle la trace, le reste, le souvenir plutôt que les documents, les preuves ou la vérité historique. Voilà un point de vue qui, en histoire de l’art ou de la culture, ne va pas de soi mais qui est en fait le seul véritablement intéressant. La notion de trace rend à l’évidence beaucoup mieux compte de l’impact d’une œuvre d’art.
La pièce Je de Dominique Petitgand est une "installation sonore pour quatre haut-parleurs", comme on dirait d’une pièce musicale qu’elle est pour quatre violons. Ceux-ci laissent entendre des bribes de phrases, sorte d’orchestration de morceaux de souvenirs énoncés par des voix d’enfants ou d’adolescents et puis peut-être par une femme plus vieille. Mémoires de famille? La présence très concrète de la voix nous fait prendre conscience qu’il pourrait y avoir autre chose que des portraits photo, picturaux ou même littéraires, mais aussi des portraits sonores.
Friedrich Jürgenson reprend une vieille obsession, celle d’entrer en contact avec les morts grâce aux technologies. Ici, ce n’est pas la photo ou la télévision qui servent de support, mais une enregistreuse sur ruban magnétique… La technologie y est à l’envers, présentée dans ses dysfonctions, tournée vers le passé plutôt que vers le futur.
Signalons aussi Marqueurs d’incertitude de Jean-Pierre Gauthier, une machine qui semble dessiner selon une logique qui lui est propre. Un dispositif fascinant, mais une œuvre qui m’apparaît avoir moins de contenu que ce à quoi Gauthier nous a habitués.
La pièce À fleur de peau de Lynn Pook vole un peu la vedette. Malheureusement (pour des raisons techniques), elle n’est restée en place que pour le début de l’expo. Mais je m’en voudrais de ne pas en parler. Dans cette sculpture sonore, le visiteur était branché sur 16 haut-parleurs et devenait comme une caisse de résonance (où tous, selon l’artiste, ne font pas écho de la même manière…). Malgré le titre, voilà une œuvre qui ne dit pas le corps comme surface de mémoire (comme chez beaucoup d’artistes), mais comme une densité d’énergies plus ou moins résistantes.
Voici le premier volet d’une expo qui se poursuivra au printemps 2006. Malgré une ou deux pièces moins fortes, j’attends avec impatience la suite.
Jusqu’au 9 avril
À la Galerie Leonard et Bina Ellen
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