Michel de Broin : Va-et-vient
Dans Objets perdus, Michel de Broin interroge le va-et-vient du désir et effectue une relecture (libidinale) du minimalisme.
Je dois dire que j’apprécie fortement le travail de Michel de Broin lorsqu’il fait moins dans le ludique (un peu trop à la mode à mon goût depuis quelques années) et plus dans la réflexion plastique et sociale. Mais cette fois-ci, sa pièce Dedans dehors, qui constitue le clou de son expo Objets perdus, conserve quelque chose du jeu (dans son interaction avec le spectateur) tout en ne sacrifiant pas la recherche formelle et intellectuelle. Décrivons la chose.
À notre entrée, une forme étrange, sorte de tuyau mou et dur à la fois, de protubérance toute blanche et toute tumescente, digne d’un ver ténia, se rétracte, se ramollit, se dégonfle et va se cacher dans un trou fait dans un panneau (presque un tableau) posé contre un mur. Surprise. On se penche, on scrute la cavité dans laquelle cette chose s’est engouffrée. Rien qu’à lui tout seul, ce trou semble receler tout un potentiel de significations. Dans la douceur de son pourtour, dans les courbes qui le protègent et le mettent en valeur, ce trou n’est pas un vide. Il est bien plus que cela. Il y a de la chair là-dedans et ce panneau se fait peau. Mais est-ce une oreille, un anus (appelé vulgairement trou de balle) ou un vagin qui s’offre ainsi à nous? De Broin nous laisse jouer entre ces sens. Il faut dire que depuis quelques années, de Broin semble obsédé par les trous (mais que celui qui ne l’est pas lui jette la première pierre…). En 2002, il réalisait d’ailleurs une œuvre qui portait le simple titre de Trou, immense orifice placé à l’arrière (en son derrière?) d’une tente-roulotte. Il en devenait son entrée, immense cavité par laquelle le curieux devait se glisser pour pénétrer la chose. En en sortant, en s’extirpant de cet orifice gigantesque, le visiteur, qui du coup se sentait tout petit, revivait presque une sorte de naissance, la tente-roulotte accouchant de lui… Dans Sophia (impression sur papier), le pli de la reliure entre deux pages d’un livre ouvert se transformait, là encore, en une douce cavité. Pour ceux qui, comme moi, ont découvert le sexe avant tout par la lecture (adolescent, je lisais beaucoup!), cette ouverture du livre sur un espace à découvrir aura de quoi plaire.
Mais revenons à Dedans dehors. Une fois la surprise passée et notre désir de mieux voir ce qui en ce trou est allé se cacher, on poursuit la visite pour se rendre compte que derrière ce mur se cache un réfrigérateur! Étrange rencontre. Un tuyau semble relier le trou que nous avons contemplé et cet appareil ménager. Est-il devenu l’antre, le terrier de cette protubérance blanche qui s’est cachée à notre regard? Est-elle allée reprendre des forces avant de replonger dans ce trou? Lorsqu’on ouvre la porte du frigo, on entend ressortir cette forme de l’autre côté du mur… On se précipite pour enfin mieux voir la chose, mais elle se défile encore! Voilà un va-et-vient, un jeu de cache-cache qui semble bien de l’ordre du désir. Voilà un dispositif, une machine qui fonctionne sur un jeu d’absence et de présence que nous connaissons tous.
Ce qui fait l’intérêt de cette œuvre est, bien sûr, le fait que ce niveau plus sexuel n’est qu’une des strates de sa signification. Il y a aussi dans la trouée de la surface du panneau un écho aux fentes réalisées au couteau (ou aux incisions faites au poinçon) dans les tableaux de Fontana. Un autre niveau de signification qu’il faudrait pouvoir expliquer, tout comme l’évidente relecture du minimalisme. Une pièce très efficace.
Moins réussis sont les dessins de trous (de la série Anthropométrie) placés sur les murs de la deuxième salle de la galerie. Mais ils ajoutent de l’ambiance à l’exposition.
Jusqu’au 17 avril
À la Galerie Pierre-François Ouellette
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