Galeries d’art : Amuser la galerie
Les galeries d’art ne sont pas des entreprises comme les autres. Et l’on aurait tort de les limiter au seul rôle de marchands. Pour un artiste, il n’y a rien de plus déterminant que de faire partie d’une bonne galerie.
À Québec, il y a un réseau respectable de galeries d’art. La majorité d’entre elles sont assez conservatrices et conventionnelles. Certaines se démarquent par leur longévité. Les galeries Linda Verge, Estampe Plus et Le Portal, notamment, font un travail soutenu de diffusion et de promotion de leurs artistes. Les galeries d’art sont nombreuses à avoir pignon sur rue dans le Vieux-Québec. C’est dire: il y en a même une au Château Frontenac! Il y en a des plus "branchées" et d’autres qui le sont moins. Celles-là, il n’en sera pas question ici, quoique tous ces lieux aient un rôle qu’il ne faut pas sous-estimer. Et il n’est d’ailleurs pas du tout dans mon intention de vouloir froisser les artistes de la rue du Trésor. Cependant, il faut se rendre à l’évidence: le modèle de la galerie d’art à Québec, c’est la Galerie Madeleine Lacerte, qui depuis 30 ans a exposé, représenté et défendu ici et à l’étranger la peinture et la sculpture actuelles de ses artistes audacieux. Et heureusement, Madeleine Lacerte n’est plus la seule dans le paysage! Il y a de la relève: Rouje, sur la rue Saint-Joseph, pour le dynamisme et l’accessibilité, et Esthésio, sur la rue Saint-Paul, pour l’engagement envers l’art actuel et son professionnalisme.
Esthésio a été fondée il y a trois ans par Maude Lévesque et Pascal Champoux: "On a toujours aimé les arts, mais on trouvait que Québec manquait de galeries d’art pour exposer l’art actuel." La tâche de Maude Lévesque? "On expose le travail des artistes et on pousse leur travail ailleurs. On essaie de développer un marché de l’art…" (Cette passionnante question du marché de l’art – ou de son absence! -, nous l’aborderons dans le cahier spécial sur les arts visuels de juin prochain). Ainsi, Esthésio doit participer à des foires d’art pour défendre et promouvoir les artistes avec lesquels elle s’est engagée. Elle sera bientôt au Toronto International Art Fair. Maude Lévesque l’avoue: "La rentabilité est une question à long terme. C’est très difficile." Est-ce parce que faire de l’argent avec l’art est encore mal vu? Ah! nos racines judéo-chrétiennes! Pour Maude Lévesque, "c’est difficile aussi, parce qu’à Québec, pour la majorité des gens, l’art, c’est de la décoration". Sa principale clientèle est d’ailleurs constituée de New-Yorkais et de Californiens. C’est à eux qu’Esthésio vend la majorité des œuvres de Gabriel Routhier ou de Carlos Sainte-Marie.
Fondée il y a quatre ans par Vincent Masson et une équipe de bénévoles, la Galerie Rouje, arts et événements a une tout autre vocation. Rouje occupe une place unique en participant, avec une constance remarquable et d’une manière fulgurante, à la vie culturelle de Québec. Elle n’est pas une galerie d’art dans le sens convenu du terme, à l’instar de l’espace d’exposition Le 36, qui est un lieu où les artistes sont invités à exposer sans lendemain. Rouje ne représente aucun artiste, mais offre tout simplement ses espaces à louer au gré de la demande, faisant régulièrement basculer ses cimaises pour faire place à la musique, à la danse, à une soirée vidéo ou à un lancement de recueil de poésie… Et chapeau! En multipliant ainsi les événements, elle multiplie aussi les publics et participe au décloisonnement du milieu des arts visuels, qui a la tenace réputation d’être inaccessible. Mais aussi, la Galerie Rouje a réussi un coup de maître en créant un momentum autour de chaque événement qui s’y déroule.