Lyne Lapointe : Le bonheur de voir
La Tache aveugle de Lyne Lapointe est une exposition itinérante du Musée d’art contemporain de Montréal. Depuis 2002, elle a voyagé à Whitehorse, La Rochelle et Sherbrooke, et elle s’arrête jusqu’au 8 mai à Sainte-Foy.
Voilà que nous est offerte par la Maison Hamel-Bruneau une excellente occasion d’envisager l’envergure de l’œuvre de Lyne Lapointe. L’artiste est reconnue depuis les années 80 pour son travail in situ qu’elle a réalisé en duo avec Martha Flemming. Lapointe et Flemming, ce sont deux grands noms de l’art contemporain. De 1982 à 1996, le couple a fait un travail singulier, monumental, public et éphémère avec cette signature qui lui est unique et qu’on retrouve dans la production solo de l’artiste. En duo, elles sont intervenues dans des édifices publics désaffectés, se produisant à São Paulo (à la Biennale de 1994), à New York et surtout à Montréal. Leur production a fort probablement influencé de nombreux artistes (je risquerai le nom de Sylvain Bouthillette). Leur travail est exemplaire à bien des égards, comme nous l’apprend Rose Marie Arbour dans un texte publié dans la revue Espace en 1999. Pendant des années, le duo a refusé de diffuser la documentation de ses œuvres in situ: "C’était ainsi se situer hors l’histoire construite à coups de médiatisations, hors les pouvoirs de qui font l’histoire officielle: projet radical s’il en fut que d’affronter ainsi les institutions artistiques libérales, couramment nourries de ce qui les conteste." Elles sont par la suite entrées au musée. Tant mieux (pour nous).
Depuis 1997, Lyne Lapointe poursuit un travail solo dans un esprit proche de celui du duo, mais aux dimensions plus modestes, plus sage: un travail d’atelier. La Tache aveugle regroupe un corpus d’œuvres (réalisées entre 1996 et 2002). L’ensemble épate par la qualité matérielle et par la complexité des références. Ce sont d’ailleurs les deux voies qui nous sont offertes pour appréhender cette production, indissociables l’une de l’autre. Les papiers marouflés sur des panneaux de bois, les collages et le dessin sont très minutieux et contrôlés. La facture, d’une qualité plastique exceptionnelle, se confond à celle des images et des objets anciens; l’artiste nourrit son imaginaire d’images de livres scientifiques, de cartes du ciel, de représentations d’animaux fabuleux ou de la zoologie. Lyne Lapointe puise ses références savantes dans les livres, qu’elle collectionne; elle utilise des papiers rares, qu’elle collectionne aussi. Le titre réfère également à la science. La tache aveugle est en effet un point aveugle de la rétine, une zone sans cellule sensible (imperceptible dans les conditions ordinaires de la vision) découverte au XVIIe siècle par le physicien français Mariotte.
Les références sont donc scientifiques, médicales, elles puisent dans le monde animal, végétal. Il s’agit d’une "iconographie érudite, raffinée, presque précieuse", comme l’écrit Gilles Godmer, conservateur au Musée d’art contemporain. Mais encore, Lyne Lapointe n’hésite pas à trouer ces panneaux de flèches, de dards, créant des cibles au cœur des images, dirigeant notre regard. Ces panneaux sont davantage des objets que des tableaux, tant leur présence matérielle habite l’image. Dans Cupidon, Lyne Lapointe a collé les pages d’un texte manuscrit du XIXe siècle. Sur l’un d’eux, on peut lire: "La nature offre une foule d’innocents plaisirs que nous pouvons goûter sans remords." Pourquoi ce détail plutôt qu’un autre, alors que des dizaines s’offrent à nous dans cet ensemble de richesses sorties d’un autre temps? Peut-être parce que, justement, ces œuvres peuplées d’animaux et d’étoiles questionnent notre rapport au monde et à la nature, de tout temps au cœur des préoccupations de la science et de l’art. Me laissant guider par le titre, je décide dès lors que le regard que je poserai sur ces œuvres sera cosmique et spirituel, regard s’ouvrant ainsi sur la possibilité de penser le caractère sacré de toute chose.
Jusqu’au 8 mai
À la Maison Hamel-Bruneau
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BLOC-NOTES
AU 36…
Jean-François Côté présente ses photographies récentes. Non, ce ne sont pas des photographies, ce sont des caisses sombres, imposantes, presque austères. En travaillant ainsi sur le "rôle actif" du support photographique, Jean-François Côté semble aussi travailler "contre" la photographie en refusant d’en explorer la transparence, la clarté, la séduction, en fuyant les évidences. En fuyant aussi le plaisir des choses qui se donnent. Jusqu’au 17 avril.
VERNISSAGES
À ne pas manquer chez VU, l’inauguration de l’exposition d’épreuves couleur et de bandes vidéo de l’artiste iranien Sadegh Tirafkan. Le vendredi 1er avril dès 20 h.
Bestiaire de Marc Paquet: vernissage le dimanche 3 avril dès 14 h à la Galerie Linda Verge.