John Oswald : Tout le monde tout nu
Le célèbre musicien John Oswald réalise, au Musée des beaux-arts, un portrait social, une mise à nu de notre monde.
Un peu moins connu du milieu des arts visuels, le Torontois John Oswald a une grande renommée dans le milieu de la musique actuelle. Il a fait la couverture de magazines aussi cotés que The Wire, des revues comme Rolling Stone ou Spin ont applaudi ses disques. Il est connu entre autres pour son concept de plunderphonics, qu’il a développé dans les années 80 et qui se base sur le pillage sonore (plunder veut dire piller), le repiquage de musiques qu’il manipule à sa guise. Ce processus qu’il décrit comme du "piratage audio comme privilège compositionnel" ("audio piracy as a compositional prerogative") lui permet de puiser dans la musique d’une multitude de sources, des Beatles à Michael Jackson. Mais, bien sûr, il en profite pour donner à ces "citations" une mouture plus underground, une manière plus subversive. À l’heure où le consensus petit-bourgeois dénonce le manque de morale de toute une génération qui se permet de voler les droits d’auteur et moraux des musiciens sur Internet ou qui n’hésite pas à faire du plagiat à l’université (et j’en passe), Oswald désigne l’appropriation comme outil de création et comme manière féconde d’être au monde. Et il y aurait beaucoup à dire sur le sujet, la liste des créateurs anciens qui ont pillé ou plagié l’œuvre d’autres créateurs étant plus longue qu’on ne pourrait le croire…
Il y a quelques années, Oswald a ajouté une corde à son arc: il réalise des œuvres visuelles complexes. Ces jours-ci au Musée des beaux-arts (Mba), le visiteur pourra expérimenter son installation chronophotique (un croisement entre photo et cinéma) intitulée Instandstillnessence. Il s’agit d’une image presque fixe, une projection vidéo qui bouge presque imperceptiblement. Une multitude d’individus, montrés de plain-pied, y sont présentés à la fois nus (ou peu s’en faut) et habillés. Voici une version d’une pièce que certains ont pu voir dans le cadre du Mois Multi à Québec au début de 2004, et qui avec le temps devient de plus en plus imposante, Oswald ajoutant à chaque nouvelle présentation des individus à son répertoire. L’œuvre présentée au Mba regroupe 450 "figurants".
FAUSSE PUDEUR
Cette expo me pose le même genre de questionnement que les photos de Spencer Tunick (que nous avons pu voir au Musée d’art contemporain en 2001). Dans cette idée de se mettre nu pour la lentille, pour être présent dans une œuvre qui sera montrée à un large public dans un musée ou une galerie d’art, il y a un geste un peu ambigu de la part des individus. Malgré tout ce que l’on pourra dire (et tout ce que l’on a pu entendre à propos des participations aux œuvres de Tunick), je ne crois pas qu’il s’agisse d’une démarche d’acceptation de soi ou de révolution du corps et par le corps. Il y a dans ce geste un désir de participer à une œuvre d’art, de faire partie de l’histoire, d’échapper justement aux limites historiques de son corps (et non pas d’être mieux dans celui-ci) afin d’atteindre à une part d’éternité.
Le côté subversif de l’ensemble n’est guère évident. Je ne suis pas sûr que le nu soit si troublant que ça à l’heure actuelle, surtout dans l’espace d’un musée. Les seins nus sur la plage ou dans les piscines (des femmes ont revendiqué, sans l’obtenir, ce droit dans bien des régions, dont en Ontario), le fait de se baigner nu dans un lac ou à la mer, ou même l’absence de soutien-gorge peut revêtir (joli paradoxe) un caractère plus subversif dans notre quotidien. Ces nus montrés par Oswald semblent bien encadrés et je leur préfère encore le simple nu-vite contestataire dans des événements publics ou même les jeunes filles qui se montrent le nombril et le buste (à la Britney Spears) et qui choquent leur mère qui a oublié son adolescence.
Alors que reste-t-il? Il y a dans cette image en mouvance une épaisseur, une structure en feuilleté, qui souligne avec efficacité l’image comme construction, comme montage, comme empilage de sens, de références à l’histoire de l’art, à l’histoire personnelle des individus (avec leurs tatouages, leurs manières de se tenir…).
Jusqu’au 14 août
Au Musée des beaux-arts
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