Manif d'art : Les cyniques sont en ville
Arts visuels

Manif d’art : Les cyniques sont en ville

La Manif d’art 3 s’ouvre le samedi 30 avril avec une grande exposition regroupant une cinquantaine d’artistes. Et bien plus: jusqu’au 12 juin, tous les lieux de diffusion de l’art actuel de Québec bougent.

La Manif d’art, c’est le moment privilégié d’entrer en contact avec l’art qui se fait, pour reconnaître la qualité du travail des artistes d’ici et découvrir celui d’artistes étrangers. La Manif, c’est aussi une occasion de réfléchir sur l’art. Et le thème de cette édition – Cynismes? – fournira de l’eau au moulin aux discussions de salon, au colloque et aux conférences qui ponctueront l’événement. Si comme moi vous vous interrogez sur le thème, sa définition, son rapport avec l’art (!), sachez que vous n’êtes pas seul. Ben Vautier, que nous avons rencontré couché dans un lit à la Bibliothèque Gabrielle-Roy, en a fait le sujet d’un texte qu’on peut lire sur place. Le célèbre artiste français persiste et signe quelques bons exemples de cynisme: "Je suis venu pour vous apporter la démocratie (Bush)." "La police et les banques veulent notre "bien" et ils l’auront." Et ainsi de suite!

Ben est une légende vivante qui aime la polémique et les débats; il aime donc aussi le thème de la Manif. À 69 ans, l’artiste français est une des vedettes de cette troisième édition de la Manif d’art. Et il faut voir l’exposition qui lui est consacrée à la Bibliothèque comme une initiation à l’esprit de l’activité artistique qu’il mène depuis les années 60. Il a fait pour le public québécois une nomenclature des différentes choses qu’il s’est "appropriées" au cours des années, un bref inventaire des choses qu’il a signées, les transformant du coup en œuvres d’art. Des exemples? Ben a déjà signé des miroirs, il a signé des sacs de pommes de terre; dans cette course à l’appropriation joyeusement mégalomane et poétique à laquelle il s’est livré pendant plusieurs années, il a même signé Dieu! Il envisage maintenant de signer des états d’âme, des atmosphères, des coups de foudre… Bref, allez jeter un coup d’œil, l’art Ben a un effet libérateur extraordinaire!

L’actualité, peut-être plus que l’art, nous offre ainsi de nombreux exemples de cynisme. Patrice Loubier, commissaire de la Manif d’art, considère le cynisme comme "la confiscation de l’espace public par les grandes marques". Cependant, pour Patrice Loubier et le co-commissaire de l’événement André-Louis Paré, le cynisme est envisagé non pas dans son acception courante – il serait difficile d’en faire la promotion -, mais bien dans le sens de ses racines philosophiques. Et un de ses plus dignes représentants est Diogène le cynique (-413 à -327), le plus marginal des philosophes grecs. De lui, nous avons peu d’écrits, mais beaucoup d’anecdotes. Chacun a la sienne. Il aurait vécu dans un tonneau, refusait la gloire et les honneurs. Diogène était un mendiant, il aurait vécu avec les chiens errants! Il critiquait le matérialisme. Mais encore, comme le précise André-Louis Paré, "ce thème (le cynisme) est d’autant plus intéressant que l’événement se déroule ici à Québec, dans un lieu de pouvoir".

Patrice Loubier définit ainsi le cynique: "Libre et rebelle, adepte avant la lettre de la simplicité volontaire, le cynique fait fi des conventions sociales pour vivre sa vie sur-le-champ, avec les moyens du bord; c’est aussi un penseur in situ qui "performe" sa philosophie." Pour le commissaire de l’événement, le cynique est la figure qui se rapproche le plus de l’artiste contemporain. Beaucoup d’artistes travaillent en effet avec une attitude insolente, impertinente, en contre-pied des conventions sociales. D’ailleurs, la plupart des artistes réalisent leurs œuvres avec une économie de moyens; beaucoup investissent la réalité quotidienne: "Pour beaucoup d’artistes, l’art est un fait accompli, poursuit Loubier. Depuis Dada, les artistes contestent les valeurs établies."

À VOS CRAYONS!

Voici les artistes dont il faut absolument voir les œuvres. C’est dit sans prétention, puisque nous savons très bien qu’une biennale de cette envergure est aussi l’occasion de faire mille découvertes. D’abord, quelques incontournables. Les artistes les plus en vue du Québec et dont on attend avec impatience les nouvelles propositions sont Raphaël Sottolichio, Patrice Duchesne, Giorgia Volpe. Ceux d’ici menant des carrières internationales: Dominique Blain, Mathieu Beauséjour, Michel de Brouin. Également, les artistes de la relève Dgino Cantin, Christian Messier, Virginie Chrétien, entre autres. Et de très bons artistes étrangers, tel Ben et l’œuvre de l’artiste américain Mark Lombardi (1951-2000), un "peintre d’investigation" qui a déjà réalisé un organigramme démontrant les liens entre les familles Bush et Ben Laden (1999). On pourrait voir un de ses dessins hautement politiques, traitant celui-là des affaires du Vatican…

À ne pas manquer: l’inauguration de la grande exposition collective le samedi 30 avril à 19 h aux Façades de la gare (400, boul. Jean-Lesage, local 002) et les inaugurations du vendredi 29 avril dans les divers lieux satellites: à l’OEil de poisson, chez Engramme et à la Chambre blanche, où un collectif travaillera in situ en s’inspirant d’un concours au goût du jour; à l’instar des reality shows, le public sera invité à voter et à éliminer les artistes un à un, bref, à élire un gagnant! Au Musée national des beaux-arts du Québec, on pourra voir les drôles de tableautins de la peintre Marie-Claude Pratte illustrant l’histoire de l’artiste contemporain (l’inauguration a lieu le samedi 30 avril entre 14 h et 17 h). Pendant les six semaines que dure la Manif d’art, il y aura aussi de multiples 5 à 7 avec les artistes participants à la galerie Rouje, rebaptisée pour l’occasion "Chez Diogène cabaret cynique". Enfin, si on ne sait pas si les œuvres vont nous éclairer davantage sur ce qu’est le cynisme, assurément, on en saura un peu plus sur ce qu’est l’art aujourd’hui. On serait tenté de se demander d’ores et déjà si l’art n’est pas tout sauf cynique; plutôt dérangeant, troublant; résistance, mystère, matière, beauté même!

Du 30 avril au 12 juin
En différents lieux