Manif d'art : Le printemps de l'art
Arts visuels

Manif d’art : Le printemps de l’art

Un jeune peintre peint des fleurs, deux artistes français exposent un étrange manteau de fourrure et un performeur s’enferme à double tour. Pendant ce temps, d’autres se baladent en ville: bienvenue à la troisième Manif d’art de Québec.

Quand la peinture pense, je suis; quand un homme peint des fleurs, je craque! La murale que peint actuellement Ziad Naccache sur les cimaises de la grande exposition de la Manif détonne joyeusement. La fraîcheur de la démarche de l’artiste montréalais frôle la marginalité. Elle dérange, parce qu’elle ne provoque pas. C’est un statement esthétique que de peindre ainsi, comme ç’en est un de choisir d’en parler dans ces pages. Naccache n’a rien de naïf, ni d’ironique. Les fleurs, il les a choisies parce que c’est un motif récurrent de l’histoire de l’art; il les a choisies aussi parce que c’est séducteur. Et ça fonctionne. C’est ainsi que l’artiste en profite pour explorer différentes façons de peindre: ici une fleur inspirée directement d’Andy Warhol, là une autre peinte d’une manière plus gestuelle ou une autre encore s’apparentant aux images numériques. Et ainsi de suite. "J’aime la rencontre des genres en peinture, le clash entre les textures", explique l’artiste. Ainsi, la fleur s’avère surtout un prétexte pour peindre.

Il y a de la peinture, mais ici pas de tableau. Tout est là. C’est ce qui donne son envol à la proposition de cet artiste de la "relève". En outre, il en profite pour poursuivre son questionnement qui résonne dans la matière: "Que peindre aujourd’hui?" Une question qu’il partage avec de nombreux peintres. Et la murale de fleurs constitue une partie de la réponse. Pour nous, c’est un pur plaisir que d’envisager cette peinture qui pense sans se priver de tout ce qu’elle peut offrir, une peinture qui veut remonter à sa source, émancipée des interdictions implicites des modes et des courants et, ainsi, traçant sa propre voie.

Une autre proposition ne peut laisser indifférent: Art Objet Orienté, un duo formé par Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin, deux artistes français invités à la Manif d’art, présente un Roadkill Coat. Un manteau de fourrure confectionné à partir d’animaux trouvés morts sur les routes de France. Alors qu’on pouvait s’attendre surtout à une dénonciation de la domination humaine sur la nature, l’effet de ce manteau s’avère double. Et doublement efficace. Le manteau agit comme un hommage troublant aux animaux victimes. En fabriquant ce manteau, les artistes ont donné une seconde vie aux bêtes happées par les voitures. C’est ce que l’on ressent devant ce vêtement-sculpture touchant et d’une lisibilité troublante. Le manteau ressemble à s’y méprendre à n’importe quel autre manteau de fourrure, mais avec un écart qui détonne et qui le fait passer du côté de la fiction, de l’objet d’art.

Les deux artistes d’origine corse s’inspirent de traditions chamanistes de l’île. "On ne fait pas de différence entre la vie des animaux, la vie humaine et la vie sacrée", expliquent-ils. Le duo se questionne surtout sur la manière dont nous traitons le vivant. "On regarde là où les gens ne regardent pas. C’est un peu comme un monument. On n’a pas vraiment une position dénonciatrice. L’essentiel, c’est d’être conscient."

Un autre artiste nous invite à prendre conscience. Cette fois, peut-être, de notre liberté de mouvement! Alors que tout le monde profite du soleil printanier, Christian Messier, performeur de la relève à Québec, est (encore!) volontairement enfermé entre quatre murs depuis le 30 avril dernier et il y restera une dizaine de jours! Derrière une des cimaises de la grande exposition, Messier se terre au nom de l’art (ayons une pensée pour lui!). De son plein gré, il restera des jours et des nuits à manger des arachides et à boire de l’eau. Seul, sans lecture, pas de musique, pas d’amour. Faudrait bien qu’un jour un musée des beaux-arts requière ses services et l’expose comme sculpture vivante… Mais quand Messier cessera-t-il de se sacrifier ainsi pour l’art?

Ces trois propositions, comme les dizaines d’œuvres réunies aux Façades de la Gare, invitent à définir ce qu’est l’art actuel comme ce qu’il n’est pas. Toutes ces propositions s’opposent si intensément à toute forme de cynisme que le thème de cette troisième Manif d’art de Québec s’impose déjà comme ayant un extraordinaire pouvoir révélateur, nous obligeant à envisager l’art dans ce qu’il a de plus fondamental: l’engagement des artistes dans leur activité; leur foi envers les vertus évocatrices de leurs œuvres, apparaissant au grand jour; les possibilités libératrices de l’art; les remises en question qu’il peut susciter; les délectations intellectuelles qu’il inspire et les précieuses sensations esthétiques qu’il peut éveiller.

Jusqu’au 12 juin
Aux Façades de la Gare