Manif d’art : Tout le monde en parle
Si l’art contemporain ne peut combler tout le registre des émotions, il a le mérite de stimuler l’ouverture d’esprit. Depuis longtemps, l’art refuse les certitudes: de Borduas jusqu’à aujourd’hui.
Dans la Galerie des arts visuels de l’Université Laval, Norton Maza a reconstitué la chambre idéale avec de vieux cartons et autres babioles abandonnées qu’il a ramassés en ville. Le bâtiment de fortune occupe magistralement l’espace de la galerie et constitue une des intéressantes expositions périphériques de la Manif d’art. Il s’agit même d’une des meilleures occupations de ce lieu qu’on a pu voir jusqu’à aujourd’hui. Se baladant d’un pays à l’autre, l’artiste chilien reconstitue, à l’échelle, des pièces d’une maison faite sur mesure pour les gens riches et célèbres. Le projet Territory, dont c’est ici la seconde étape, a commencé à Tancevo en Serbie, où Maza a construit une cuisine avec des matériaux que les gens ont jetés. D’autres pièces se construiront à La Havane et à Paris. À Québec, c’est une chambre que Norton Maza a recréée. Il montre à la fois la quête du bonheur dans l’univers matériel et l’uniformité de nos désirs. Sa "technique" s’inspire de l’ingéniosité des habitants les plus pauvres des pays du tiers-monde, qui reconstituent dans les bidonvilles des semblants d’habitations. La construction fourmille de détails ingénieux où l’univers domestique se retourne sur lui-même.
Cette sculpture trouve un écho dans les très bonnes sérigraphies de l’artiste américaine Lany Devening, qu’on peut voir actuellement chez Engramme. Cinquante sérigraphies pour chacun des États américains, où une maison brûle au centre d’un cœur, à la fois fenêtre et trou de serrure. Ce sont de très bonnes sérigraphies qui mettent en valeur toutes les qualités spécifiques de ce procédé d’impression.
L’art contemporain, disions-nous, ne comble pas tout le registre des émotions. À cet égard, quoi de mieux que de retourner régulièrement dans une salle de musée, histoire d’envisager l’art actuel avec un peu de perspective. Si vous êtes, comme moi, parfois en manque de bonnes peintures, c’est le temps de faire une visite au Musée national des beaux-arts du Québec pour y voir Vent bleu de Guido Molinari (1933-2004). Le peintre montréalais a réalisé cet ensemble de tableaux à la fin des années 70. Le musée en présente une partie depuis avril, et cela, jusqu’au 5 septembre. On pourrait envisager ce grand panneau comme une variation plasticienne du paysage, comme une abstraction inspirée des Nymphéas de Monet: c’est d’abord un grand pan de couleur.
Devant le grand tableau de plusieurs mètres de bleu aux subtiles variations, on ne peut que s’asseoir et observer. Après cela, tout est possible! Je souhaite ardemment que votre flânerie vous mène devant un chef-d’œuvre de l’art moderne québécois: Les Pylônes de la porte de Paul-Émile Borduas. Le tableau de 1949 fait partie de la collection permanente du Musée. Il est exceptionnel, et je me promets de retourner le voir encore et encore. Non pas pour trouver le réconfort d’une peinture conventionnelle, mais pour ressentir à nouveau les possibilités infinies de l’art: ce désir de changer la vie qu’on retrouve aussi dans l’art actuel, dans le plus étrange et le plus imprévisible; ce désir de transformer le regard, de repousser toujours plus loin les limites des conceptions admises et connues de l’art; cette volonté de renoncer aux certitudes qu’incarnent avec héroïsme Borduas et sa peinture.
Norton Maza
Jusqu’au 12 juin
À la Galerie des arts visuels
ooo
BLOC-NOTES
Ben Vautier à la Biblio
Vous pouvez apprécier encore pour quelques jours l’art loufoque de cet artiste fou de l’art et de la vie à la galerie d’art de la Bibliothèque Gabrielle-Roy. C’est incontournable et c’est le dernier week-end de son expo. Sinon, on peut toujours visionner une bande vidéo qu’il a réalisée en 2000, dans la grande exposition collective, où l’artiste au verbe généreux soliloque pour le plus grand bonheur des plus anti-impérialistes et anticonformistes de nous tous.
Le colloque Cynismes et démocratie
Le thème de la Manif se prête bien à la réflexion théorique et aux discours; les œuvres qui y présentées stimulent le débat. Voilà deux bonnes raisons de participer à ce colloque qui s’annonce des plus intéressants. Les conférenciers invités se pencheront sur le cynisme et la démocratie. L’historien de l’art Paul Ardenne y participe. Rendez-vous les 21 et 22 mai à Rouje.