Nathalie Caron et Charles Guilbert : Au fil de nos amours
Nathalie Caron et Charles Guilbert dénouent le fil des liens qui unissent les individus. Une expo bien tissée, même s’il y a quelques mailles perdues.
Dans nos rapports amoureux ou amicaux, nous tissons des liens qui, avec le temps, s’effilochent ou qui, au contraire, s’étoffent. Avec la complicité du commissaire Gilles Daigneault, Nathalie Caron et Charles Guilbert, deux amis de longue date, ont ficelé une exposition ayant justement pour trame ces liens que l’on noue. Ils y filent la métaphore du fil comme signe de ces attachements. En 1997 déjà, au Musée d’art contemporain, Caron et Guilbert avaient traité des rapports humains dans Les personnes, un hommage aux pronoms personnels et à toutes les combinaisons d’interactions entre eux, entre "je" et "il", entre "tu" et "elle"… Ils récidivent à la Galerie Joyce Yahouda. Une expo sur la fragilité.
La vidéo de Guilbert, Une chanson pour les fantômes, est remplie de trouvailles, mais finit par agacer. En effet, l’amour ou la peine amoureuse que les autres vivent ne sont-ils pas toujours un peu insupportables, surtout comparés à nos amours et à nos peines, bien plus excitantes et intenses? Le fil conducteur de la trame narrative semble en effet se résumer à la vie d’un jeune homme qui se remet d’une rupture. Voilà un sujet bien délicat. Quel ton prendre pour en parler? La vidéo de Guilbert oscille entre plusieurs genres. Des parties narratives ont été tricotées avec de petites chansons qui donnent à l’ensemble une ambiance qui tient à la fois de l’opérette et de la texture un peu quétaine des émissions télévisées pour enfants, dans le genre de Passe-Partout. Ce n’est pas la rupture de ton qui pose problème, ce sont plutôt les tons employés. Avait-on besoin d’autant infantiliser le propos pour tenter de désamorcer le style mièvre dans lequel ce sujet pouvait facilement tomber? La ficelle est un peu grosse. Par moment, cela fait penser à du Jérôme Minière. Mais Minière arrive, par un ton intimiste, à éviter les embûches dans lesquelles tombe souvent Guilbert. Cela est d’autant plus embêtant que cette vidéo est remplie de trouvailles visuelles. Entre autres, les petits dessins sont exceptionnels. Les effets de composition, simples mais très efficaces, sont aussi remarquables, comme ce moment où les visages des deux amoureux se rencontrent presque, mais où, finalement, ils se superposent par transparence, grâce au montage vidéo. Ce passage où le jeune homme joue avec le trou dans le tricot de son amoureux est aussi très juste. Ce trou, qui permet de voir la peau de l’épaule d’un homme, fait penser à un commentaire de Roland Barthes, qui disait, dans son livre Le plaisir du texte (qui rime avec le plaisir du sexe): "L’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement bâille? C’est l’intermittence qui est érotique: celle de la peau qui scintille entre deux pièces (le pantalon et le tricot), entre deux bords (la chemise entrouverte, le gant et la manche)".
SIMPLICITÉ VOLONTAIRE
De son côté, Nathalie Caron a élaboré des œuvres faites de petits riens, à la fois sculptures et monuments du quotidien. Parmi ceux-ci, on remarquera ses Songes filipendus. Ils sont composés de laine cardée, qui ressemble à cette mousse qu’il faut enlever d’un sèche-linge. Ces restes du temps, de la vie, de tricots (encore eux) que l’on prête à ses amis, que l’on prend à son amoureux, ces morceaux de laine nuageuse flottent dans l’espace comme des taches de peinture. Suspendues à des fils, ces taches de couleurs vives ont à la fois une présence et une immatérialité dignes des rêves, mais aussi de l’amour.
Il faudra aussi regarder attentivement, dans le fond de la galerie, le mur de mots composés par Guilbert et Caron. Des lettres de vinyle collées sur le blanc de la cimaise forment l’œuvre Miettes en fleurs. Les mots agencés nous font osciller entre le ton trop sérieux de l’amour et le retour à la réalité, qu’il faut affronter au quotidien. On peut y lire des phrases comme: "Je voudrais, un instant, voir exactement la même chose que toi". Mais, si on y parle des braises, des songes, des rêves, on y discute aussi "des boutons à recoudre"…
Jusqu’au 2 juillet
À la Galerie Joyce Yahouda
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