Fiona Tan : Code secret
Fiona Tan capte sur vidéo un rite japonais, une compétition de tir à l’arc… Comment rendre compte de la culture de l’autre? Une question qu’elle pose judicieusement.
Elle est une figure montante de l’art contemporain international. En 2001, elle se faisait remarquer à la Biennale de Venise et à la Biennale de Berlin. En 2002, son travail était choisi pour figurer à la Documenta de Cassel où sa pièce Countenance retenait l’attention du public. Elle y présentait une série de portraits vidéo de Berlinois, d’une facture très proche du documentaire, à la August Sander, mais en même temps très intimistes et vivants (le temps de la prise vidéo venant bousculer la pose photographique figée que tentaient de maintenir les participants). L’idée de contenance exprimait parfaitement cette interface qui existe entre l’espace public et l’espace privé. Fiona Tan, artiste vivant aux Pays-Bas mais née à Pekan Baru en Indonésie en 1966, propose un art qui a à la fois un pied dans une approche ethnographique distanciée et un pied dans un monde plus émotif, plus personnel.
Dans son installation vidéo Saint Sebastian, montrée ces jours-ci au Musée d’art contemporain (MAC), Tan scrute les activités de jeunes filles qui, lors de la fête japonaise de Toshiya (qui a lieu tous les ans à Kyoto), doivent montrer leur capacité à maîtriser l’art du tir à l’arc. Une œuvre qui, à travers la figure de l’archer (des femmes dans ce cas-ci), parle de la maîtrise de soi qu’il faut acquérir dans le passage à l’âge adulte. Mais elle montre plus. Elle pointe comment des valeurs sociales peuvent prendre possession totalement du corps des individus. Prises de loin au téléobjectif ou filmées de plus proche, ces jeunes filles sont totalement absorbées par le rituel qu’elles incarnent.
Dans cette installation, Tan interroge en fait la double contrainte distance/proximité qui est la problématique emblématique de toute tentative pour décoder la réalité (par l’image ou par l’écrit). L’artiste, le photographe, le vidéaste, le reporter, le journaliste (question valable aussi pour le critique) doivent-ils garder une distance critique pour mieux couvrir leur sujet ou doivent-ils au contraire être impliqués émotionnellement dans le milieu qu’ils décrivent pour mieux comprendre ce que publiquement on ne dit pas ou ne montre pas? Mais du coup, la présence supplémentaire de ce reporter ne fait-elle pas prendre une pose à ces individus qui sont décrits, enlevant ainsi tout le naturel à leur activité? Tan parle de cela, de cette position étrange que le reporter doit alors tenir, de ce "paradoxe: la proximité et la distance en même temps".
Tan semble même aller plus loin pour régler ce dilemme. Dans ses œuvres, elle énonce comment toute activité (même dans l’univers privé) est une forme de représentation, une sorte de code social intériorisé. Que la caméra soit là ou non, que le journaliste soit présent ou absent, les individus sont toujours un peu des acteurs de leur code social.
Le catalogue monté par le MAC souligne avec justesse cette problématique. On y lira un texte de Tan, sorte de journal personnel qu’elle a tenu lors du montage de Saint Sebastian, où elle revient continuellement sur cette idée de distance critique et de tourisme visuel. Un texte très juste et très éclairant.
Jusqu’au 5 septembre
Au Musée d’art contemporain
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