Biennale de Venise : Miroir de l'art
Arts visuels

Biennale de Venise : Miroir de l’art

La 51e édition de la Biennale de Venise, dirigée par deux femmes, Rosa Martinez et Maria de Corral, est de haut niveau. Parcours.

Cette année, les oeuvres les plus pertinentes sont avant tout celles qui interrogent le fonctionnement même de la Biennale, des événements internationaux d’art contemporain et le phénomène des expositions en général.

Dans la section montée avec brio à l’Arsenale par la commissaire espagnole Rosa Martinez (qui dirigea la Biennale d’Istanbul en 97 et celle de Santa Fe en 99), c’est cette trame théorique qui domine. Dès l’entrée, le ton est donné avec une pièce sonore (genre toujours plus à la mode) de Santiago Sierra. Il y raconte l’expansion constante des coûts de la Biennale (6,4 millions d’euros cette année), des salaires des directeurs, du prix d’entrée qui est maintenant de 15 euros, soit près de 24 dollars (presque autant qu’au Museum of Modern Art de New York)… La culture ne semble pas toujours se démocratiser en ce nouveau siècle.

Puis les Guerrilla Girls (collectif de femmes artistes fondé à New York en 1985) dénoncent l’absence des femmes dans l’histoire de cette prestigieuse institution et dans d’autres institutions tout aussi importantes (leurs œuvres se retrouvent sur www.guerrillagirls.com). Sur d’immenses affiches de 17 pieds de haut, le visiteur peut lire quelques informations intéressantes: en 1895, lors de la 1ère Biennale, il n’y avait que 2,4 % de femmes artistes; en 1995, ce chiffre grimpait à 9 % et n’a jamais dépassé les 12 % au cours du siècle dernier; cette année, sur les 91 créateurs choisis pour les deux principaux lieux, il y a 38 femmes, soit un peu plus de 42 %, un record… Jamais les femmes ne furent autant représentées dans un événement international d’art contemporain. Le milieu de l’art et les organisateurs de la Biennale de Venise seraient-ils un peu misogynes? Ce qui est sûr, c’est que c’est la première fois que ce n’est pas un homme qui est commissaire de cette vénérable institution (pour la Documenta de Cassel, autre célèbre événement d’art contemporain, ce fut en 1997 qu’une telle première eut lieu, avec la Française Catherine David).

Le projet in situ de l’Allemand Gregor Schneider fut refusé par la Biennale, mais à en juger par la bande vidéo de présentation, il aurait été extrêmement dérangeant. Jugez par vous-même. Schneider voulait mettre, sur la célèbre place Saint-Marc, un immense cube noir qui aurait, à l’évidence, donné à l’ensemble des allures de la Ka’ba à La Mecque… Les biennales d’art seraient-elles devenues des lieux saints pour pèlerins postmodernes?

L’architecte néerlandais Rem Koolhas, qui est en charge de la modernisation du Musée de l’Ermitage, expose des textes et des graphiques qui font réfléchir à l’expansion des musées de nos jours. Parmi ses réflexions pertinentes, notons celle-ci: "Les musées sont-ils des espaces pour voir des œuvres ou pour échanger et tester nos connaissances?" On peut aussi y lire comment le public des musées est en continuelle croissance et est devenu presque infini… Serait-il le nouveau marché à conquérir?

Cette approche autoréflexive du milieu de l’art trouve aussi un écho dans certains pavillons nationaux, dont celui de l’Allemagne. Le jeune Tino Sehgal (né en 1976 à Londres, mais vivant à Berlin) y exhibe une attitude très contemporaine. C’est en tout cas ce que déclament les gardiens qui entourent, en dansant, le visiteur dès son entrée. Très amusant et très… postmoderne. Plus loin, des universitaires, payés par Sehgal, proposent de discuter de l’économie de marché et offrent 3,75 euros comme rémunération pour cette conversation. Chaque jour, au moins 200 personnes se prévalent de ce remboursement. Le spectateur, toujours un peu acteur de l’art contemporain, trouve enfin une rétribution à son interaction!

Enfin, l’une des expositions les plus extraordinaires n’est ni à l’Arsenale ni dans un pavillon national mais à la Fondazione Querini Stampalia (jusqu’au 11 septembre). Kiki Smith émerveille avec son installation Homespun Tales. Exceptionnelle. Elle y a élaboré une sorte de maison féerique qui parle de l’acte créateur comme d’un acte magique presque digne d’un exorcisme. Une des plus belles œuvres que j’aie vues.

Quant à la participation canadienne, je vous en reparle la semaine prochaine…