Pierre Otis : Danser avec les loups
Pierre Otis est un travailleur acharné, un infatigable coloriste et un fou de la peinture. De la sienne comme de celle des autres.
On ne peut que se laisser convaincre par l’ardeur d’un peintre comme Pierre Otis, par son désir de peindre et l’amour qu’il a pour cet art "qui nous prend par les yeux", comme il le dit si bien. C’est ce dont témoigne la production de la dernière année présentée en solo chez Rouje, une vingtaine de tableaux où l’artiste poursuit ses recherches entamées depuis près de 10 ans. Installé à Québec après un long séjour dans la métropole, Pierre Otis a trouvé une communauté d’artistes solidaire et stimulante. Nous l’avons rencontré dans son atelier de la rue du Pont où ont défilé ses dizaines de tableaux, qu’on peut voir pendant quelque temps sur les cimaises de la galerie de la rue Saint-Joseph. Ce sont des tableaux circulaires pour la plupart, des tondo – de grands cercles et de plus petits, de magnifiques supports d’ailleurs – où l’on retrouve les motifs de prédilection de Pierre Otis. On reconnaît son "style", sa "signature", pour reprendre les mots mêmes du peintre. D’un tableau à l’autre, on retrouve des formes organiques, des bleus, des verts, des rouges, des jaunes entremêlés; des formes se rapprochant du monde végétal. "Comme le feu, explique l’artiste, c’est toujours la même chose, mais ce n’est jamais pareil."
Depuis des années, en effet, Pierre Otis peint des tableaux qui font partie d’une même famille. Ils sont tous frères et sœurs: cela ne fait pas de doute. D’ailleurs, quand on lui demande s’il n’a pas l’impression de faire toujours plus ou moins le même tableau, son explication s’avère des plus convaincantes: "Pour moi, peindre est une recherche. Et je veux la pousser toujours plus loin. À chaque tableau, je découvre quelque chose de nouveau." Il n’est pas le seul à envisager la peinture ainsi, bien des peintres se reconnaîtront. Bien d’autres l’ont fait avant lui aussi, explorant pendant des années d’infimes paramètres de la peinture. Qu’on pense seulement à certains peintres plasticiens dont les tableaux se ressemblent étonnamment et où se rejoue, le temps d’un tableau, dans une variation de tonalités ou dans l’ajout d’une ligne, le destin même de la peinture! Les tableaux de Pierre Otis, où la couleur est appliquée avec soin et précision – d’une manière presque léchée -, rappellent la peinture de certains plasticiens, et cela sans compter que Pierre Otis a exclu depuis longtemps toute référence à l’objet, voguant davantage dans l’univers du paysage mental.
En prenant le temps d’apprécier ses tableaux ronds comme des lunes, on distingue les subtilités des coloris, l’effet des couleurs à l’huile que le peintre a concoctées avec soin. Et c’est ainsi qu’apparaît avec évidence l’effet singulier que font les bleus et les verts, l’agitation d’un rouge, l’affirmation d’un trait noir. Si là, il y a trop de mouvement, ici, les formes et les couleurs laissent la place à plus de plénitude: "Le choix des couleurs, c’est ce qui donne l’émotion. La ligne, c’est le vouloir, la volonté." À entendre Pierre Otis parler du choix judicieux de sa palette, du sens d’un bleu et de l’effet d’un rouge, la part transhistorique de la peinture se révèle. Peindre est une activité ancienne, cela apparaît tout à coup avec évidence devant ses tableaux. Cela nous rappelle ainsi que négocier les rapports entre la couleur et la ligne puise dans des siècles de connaissances.
Quand on lui demande où il s’en va ainsi, Pierre Otis répond sans hésiter: "Vers la multiplication! Pourquoi j’arrêterais? Ça coule de source! Je vais faire ça toute ma vie." Pierre Otis connaît ses déclencheurs, sa façon de fonctionner. Il s’est regardé travailler et peut en parler avec justesse: "Le tableau m’appelle. Quand il ne m’appelle plus, c’est parce qu’il est terminé", explique-t-il encore. Sur sa manière de peindre, il précisera: "C’est tout en retenue, ce sont des dérapages contrôlés."
Il préfère évoquer des choses, travailler dans la suggestion, à l’instar de la musique qui accompagne son travail, celle de Mozart notamment. Encore là, il est plus question de suggestion que d’illustration ou de description. La peinture, c’est une question de désir, d’élan, soit. Mais davantage, il y a tant de temps inscrit dans chacun des tableaux de cette production abondante et rigoureusement réalisée qu’elle invite à ce qu’on s’y arrête sérieusement pour en découvrir les qualités.
Jusqu’au 4 septembre
À la Galerie Rouje
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