Evergon : Un style couillu
Evergon est l’un des points de mire de la 9e édition du Mois de la photo à Montréal. Deux expositions lui rendent hommage.
À travers principalement des photos d’objets, mais aussi de personnes importantes dans la vie du photographe québécois né à Niagara Falls, Evergon nous propose un autoportrait très personnel, parfois même un peu secret. Cela va de la photo d’une poupée-mannequin d’un petit garçon (travesti à l’aide d’une jupe), à celle d’une paire de bottes, en passant par celle de son très beau masseur ou encore par celle de sa mère portant des pantoufles en forme de pieds d’éléphant (ou serait-ce de rhinocéros?). Dans ces images, où temps présent et souvenirs se mélangent, l’acte créatif du photographe adulte renoue astucieusement avec les jeux et les symboles de l’enfance. Mais, si plusieurs images sont exceptionnelles, plusieurs autres passeraient assez facilement inaperçues si elles n’étaient pas identifiées comme étant des œuvres d’Evergon. Cependant, à la défense de l’artiste, certains pourraient dire comment ces photos ont été pensées comme une suite (elle s’intitule Séries: chez moi / Domestic Content), qu’il faut appréhender dans sa globalité, pour l’atmosphère qu’elle dégage…
Heureusement, certaines images prises individuellement trahissent un ton caustique, très "Evergon". Dans cette catégorie, on peut placer deux clichés de la Galerie Trois points. La photo d’une petite statuette d’un prêtre avec deux garçons, vus de dos, ne manque pas de mordant. On ne sait trop ce que le prêtre fait avec ces jeunes enfants et la mise en page de l’image, qui nous maintient à distance, augmente l’effet de tension. Plus loin, c’est une petite figurine de Tom (de Tom et Jerry), déboîtée sur son axe, la queue par en avant, qui prend une connotation sexuelle tout à fait surprenante. Evergon sait jouer de la trouvaille.
L’artiste lève donc encore le voile sur des parties bien personnelles de son univers. Une photo (à la Galerie Leonard et Bine Ellen) le montre sous un angle assez humoristique: on y voit Evergon faisant une Sharon Stone de lui. Telle l’héroïne de Basic Instinct, il nous montre un aperçu de son entrejambe sans sous-vêtement… Il fut une époque où on parlait du style "couillu" (et donc très viril) de Cézanne. Faudra-t-il reprendre l’expression pour Evergon?
Dans l’expo à la Galerie Leonard et Bina Ellen, Evergon est accompagné par une photographe australienne d’origine Kuku et Erub/Mer. Destiny Deacon expose des images qui souhaitent faire réfléchir à la manière dont nous représentons les Noirs, bien souvent à l’aide d’un imaginaire de pacotille, très caricatural. Vous y verrez des poupées noires placées dans des situations diverses, parfois très tendues, comme dans cette image où l’une d’elles est décapitée, une hache abandonnée à ses côtés. "Les poupées noires nous représentent en tant que personnes, avance Deacon. Je ne pense pas que l’Australie blanche, ou appelez-la comme vous voudrez, nous perçoive comme des personnes". Souvent, cela donne des images trop littérales, comme celle montrant de toutes petites poupées noires servies sur un plateau comme des petits-fours ou des gâteaux. Bien des auteurs ont parlé de la condition noire avec plus d’intensité. Je pense, par exemple, au vidéo Western Deep de Steve McQueen, montrant, en temps réel, la descente des mineurs noirs au fond du puits.
Jusqu’au 8 octobre
À la Galerie Trois points
Jusqu’au 1er octobre
À la Galerie Leonard et Bina Ellen à l’Université Concordia