Beauté baroque?
Arts visuels

Beauté baroque?

En parallèle avec le Mois de la photo, la Société des arts sur papier présente Du sang dans l’engrenage, une exposition de Matthieu Brouillard et d’Yvan Laroque. Deux visions, six œuvres.

Ils ont en commun cette prédilection pour les mises en scène élaborées, pour une certaine beauté inquiétante et pour la photo grand format. Des affinités iconiques et métaphysiques, aussi. Mais surtout, cette connivence que partagent deux artistes qui développent depuis longtemps leurs pratiques en parallèle. Fort. Très fort.

Yvon Laroque travaille en couleurs. Il nous présente ici La Viande et l’Esprit, Mirages et Au lever du jour, la raison s’éveille. Ce qui frappe d’emblée, c’est la puissance dramatique des mises en scène: il vient de se passer quelque chose et les personnages sont à une seconde de griller un fusible, de déraper complètement. Dédoublement schizophrénique, cristallisation d’affects chaotiques dans un sujet inanimé, fuite complète hors de la réalité. Par une sorte de glissement entre une artificialité ostentatoire et un effet de réel (qui n’est pas dénué d’ironie), les photos de Laroque mettent en scène très efficacement la solitude et l’aliénation du sujet tragique contemporain, tiraillé entre son humanité et son désir de transcendance. Elles sont aussi une critique et une résistance aux conventions auxquelles nous a habitués la représentation photographique et s’inscrivent délibérément à la fois en continuité et en réaction à la peinture historique de genre.

De la contemplation des noirs et blancs de Matthieu Brouillard (Homme au crâne suintant, Chambre grise et Figure nue sur le plancher) naît un trouble immédiat. Les clichés sont pris dans des zones abstraites ou des lieux génériques, au lourd potentiel évocateur. Les légères distorsions dans les corps des personnages, leur pétrification dans des poses inconfortables de même que notre contact quasi charnel avec eux grâce au très beau travail des textures (qu’on voit de si près qu’elles ne permettent pas la mise à distance) nous placent dans une situation d’attraction-répulsion. Les œuvres de Brouillard jouent également sur cette angoisse sourde devant l’innommable (l’innomé?) en poussant très loin les capacités expressives de la photo et en saisissant surtout, dans leur intensité première et leur part d’animalité, la condition des choses d’avant la narration.

Feu F52 s’appelle maintenant depuis un an La Société des arts sur papier. Organisme sans but lucratif, cette petite galerie-librairie est née du désir de réunir sous le même toit des expositions d’artistes émergents des arts visuels sur papier (illustrations, gravures, sculptures, sérigraphies, calligraphies, photographies, estampes, peintures, etc.) et de la narration graphique contemporaine (bandes dessinées d’auteurs, livres d’artistes, etc.). www.sap-aps.org

Jusqu’au 5 octobre
À La Société des arts sur papier
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