Refoulement viennois
Enfant chéri des années 80, le New-Yorkais Robert Longo refait surface avec des œuvres moins tonitruantes, mais ô combien plus riches.
Je ne peux pas dire que, dans les années 80 (ni même dans les années 90, alors qu’il réalisait le film Johnny Mnemonic avec Keanu Reeves), j’aie été un fan inconditionnel du travail de l’artiste états-unien Robert Longo. Loin de là. Ses images, où il montrait des individus dans des poses extrêmement tendues, ou parfois en train de se battre, me semblaient un peu trop maniéristes, dignes de la fin de la Renaissance, époque où les artistes voulaient montrer leur maestria, leur talent manuel. Longo est en effet un dessinateur de grand talent. Mais l’art se doit d’être plus que plaisant. Il est, pour moi et pour bien d’autres, avant tout affaire de contenu. Et question contenu, Longo m’a souvent semblé enfoncer des portes ouvertes.
Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai vu ses nouvelles œuvres à la Galerie Graff. Finie la critique facile (et peu fondée) de la supposée montée de la brutalité et de l’anxiété dans nos sociétés postmodernes. Comme si, dans le passé, les sociétés n’avaient pas été violentes ou stressantes… Finie la récupération de l’esthétisation de la violence du cinéma hollywoodien (afin de la critiquer?!?). Pour cette série de 13 impressions numériques en noir et blanc, Longo a choisi un sujet plus troublant et plus important. Il a repris une série de dessins, au fusain et à l’encre, qu’il a réalisés entre 2000 et 2002. Il y montre l’appartement de Freud à Vienne, au 19 Berggasse. Là, le fondateur de la psychanalyse habita du 20 septembre 1891 au 4 juin 1938, avant de partir pour la Grande-Bretagne, chassé par les nazis, laissant derrière lui ses quatre sœurs qui périrent dans le camp de concentration de Theresienstadt. Longo reprend quelques-unes des photos prises par Edmund Engelman (il en fit 150), quelques heures avant que les affaires de Freud ne soient emballées et expédiées. August Aichhorn, un ami de Freud, avait fait prendre ces images pour que l’on puisse un jour reconstruire le bureau de Freud. Cela ne fut jamais fait. Le célèbre divan est resté en Grande-Bretagne et le Musée Freud de Vienne a intelligemment refusé de mettre une réplique de cet objet ou des autres éléments de son bureau dans son ancien appartement (seule la salle d’attente a été restaurée). La directrice du Musée explique qu’il ne fallait pas faire comme si rien ne s’était passé, comme si les événements nazis pouvaient être refoulés…
En bon postmoderne, Longo reprend, cite, se réapproprie donc les images de 1938. Mais par le passage par le fusain et l’encre, ces photos deviennent encore plus sombres et plus tristes. Elles deviennent aussi un peu floues, comme si elles cachaient quelque chose. Ce qu’elles éclipsent est peut-être la réaction des Viennois auxquels furent attribués cet appartement et les autres de l’immeuble, qui fut vidé de presque tous ses habitants (pour la plupart juifs). Et il a fallu attendre 1989 pour que la locataire "aryenne" de l’appartement privé de Freud accepte de le vendre au Musée contre une importante indemnité…
Jusqu’au 15 octobre
À la Galerie Graff
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