Tracey Moffatt : Mémoire sélective
Arts visuels

Tracey Moffatt : Mémoire sélective

Au Musée des beaux-arts, Tracey Moffatt nous parle des liens entre nos souvenirs d’enfance et l’Histoire. Imaginaire collectif en vue.

La photographe et cinéaste australienne Tracey Moffatt, aborigène métissée, refuse d’endosser une identité trop stéréotypée. Élevée par des parents adoptifs blancs, elle ne souhaite pas dresser un portrait en noir et blanc de notre monde… C’est ce que le visiteur du Musée des beaux-arts décodera, entre autres, en visitant Up in the Sky (Là-haut dans le ciel), série de 25 images qui traitent de "la pauvreté et de l’isolation de citoyens noirs et blancs, victimes de la même marginalisation". Moffatt rejoint ici les propos de l’artiste Iké Udé, pour qui le fait de se sentir noir n’est pas tant lié à la couleur de la peau, mais à une situation de pauvreté et au fait d’être exclu de la classe dominante.

Voilà qui a de quoi surprendre. Surtout au lendemain de Katrina, alors qu’on a vu les Blancs de la Nouvelle-Orléans être plus vite secourus (entre autres lors du transfert des réfugiés, pris au piège, du Superdome) que leurs concitoyens noirs. Et ce type de racisme n’est pas étranger à l’Australie. Des années 1910 jusqu’aux années 1960, il était courant que les enfants des aborigènes (qui jusqu’en 1967 n’avaient pas la citoyenneté australienne) soient enlevés à leurs parents et placés dans une famille d’accueil blanche. Certains avancent des chiffres effrayants: plus de 100 000 enfants aborigènes auraient ainsi légalement été kidnappés. Cette "génération volée" ne fut jamais vraiment reconnue par le gouvernement australien.

Pourtant, à y regarder de plus près, le travail de Moffatt ne manque pas de sens critique. Dans Up in the Sky, on peut retracer des éléments de cette trouble histoire australienne. Dans ce récit visuel non linéaire, le visiteur verra une mère blanche avec une petite fille aborigène, toutes deux entourées de nonnes qui ressemblent à des sorcières. Mais Moffatt craint peut-être d’être trop identifiée à une cause et de voir son travail se résumer à cela… Elle ne veut pas être ghettoïsée en tant qu’artiste aborigène. Voilà pourquoi son œuvre interroge plus largement le fait que nos souvenirs d’enfance rencontrent la mémoire collective.

Parmi les trois corpus d’œuvres présentées et qui traitent de ce sujet-là, la première série intitulée Scarred for Life (Marqué pour la vie), réalisée en 1994, est sans nul doute la meilleure. Dans cette série de neuf images, Moffatt nous parle des moments de notre enfance ou de notre adolescence qui ont laissé une empreinte profonde dans notre mémoire. Par exemple, dans une image, un petit garçon qui joue le rôle de Dorothy dans le Wizard of Oz monté à l’école, se fait sermonner par son père car il a trop tôt mis son costume de fille… On croirait une scène tirée du film C.R.A.Z.Y. Dans la plus récente (et moins forte) série montrée au MBA, intitulée Invocations (réalisée en 2000), Moffatt élargit son champ d’investigation et nous parle d’un espace onirique nourri auprès de Disney, d’Hitchcock et de Goya.

SAVEUR DU MOIS

Saluons, au passage, comment le Mba a pris le parti de monter une minirétrospective de l’artiste au lieu de seulement exhiber une série plus récente. Cette expo, montée par la conservatrice Diane Charbonneau, fait partie des bons moments de la 9e édition du Mois de la photo à Montréal, qui fut de très bon niveau. Nous en retiendrons aussi la présentation de Diane Borsato chez Occurrence, celle de Karen Brett (malgré le nombre limité des photos présentées) à la Centrale, celle de Catherine Bodmer chez Skol, les images de Michael Ensminger au Centre Saidye Bronfman et Windows de Michael Snow à l’UQÀM, expo où photos et vidéos dialoguaient avec justesse (et d’une manière plus pertinente que lors du Mois de la photo 2001 où, sans raison, dominait la vidéo). Une bonne année.

Jusqu’au 4 décembre
Au Musée des beaux-arts
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