Territoires urbains : Dans la jungle des villes
Arts visuels

Territoires urbains : Dans la jungle des villes

Territoires urbains réunit au MAC six artistes montréalais à l’écoute des paysages de la ville.

"Nous ne nous en rendons pas compte, mais tous les espaces dans lesquels nous vivons sont des montages." C’est l’artiste Isabelle Hayeur qui me fait cette remarque surprenante, mais combien judicieuse pour qui sait l’entendre. En effet, autant nos villes que nos campagnes sont des assemblages, des constructions d’espaces hétéroclites: adjonctions (parfois visibles, parfois invisibles) de bâtiments à travers le temps, rencontres entre l’espace public (celui du trottoir ou de la rue) et l’espace privé (du bout de gazon à l’appartement), parcs aménagés où nature et culture se rencontrent, berges bétonnées et remodelées… Notre espace environnant n’est jamais naturel. S’il semble aller de soi, c’est qu’il est naturalisé avec le temps, par habitude.

L’exposition Territoires urbains, qui vient de débuter au Musée d’art contemporain, porte sur la ville, mais pourrait aussi traiter du paysage en général. Au premier coup d’œil, on peut croire qu’elle traite de l’urbanité, mais sa portée est plus large, elle énonce notre monde environnant comme un espace de représentations, de fictions, d’inventions… Les artistes qui y participent, par des photos ou des vidéos, semblent y traquer des espaces plus réels, des moments de vérité, une prise de vue, un angle qui dévoilera une certaine authenticité. Peine perdue? Il n’y aurait donc que des illusions?

À voir les photos d’Isabelle Hayeur, à l’entrée des salles, nous pourrions croire que ses images très précises sont simplement des prises de vue du réel. Juste le produit d’un clic sur l’appareil photo. Pourtant, à y regarder de près, nous pouvons y voir des indices de manipulations. Dans Roxane (L’Attente de l’aube), une maison modèle a été trafiquée par l’artiste. Elle se trouve relocalisée, ensablée et dépourvue de porte. Critique de la banlieue? Ce paysage intitulé Blindsight, si présent dans sa fine texture, est aussi une composition. Grâce aux technologies de l’image, ce paysage de banlieue se dévoile en tranche verticale, de la cime des arbres aux entrailles de la terre (où l’on peut voir des restes de poubelles de l’artiste, photographiés à l’horizontale). Impeccable démonstration.

Emmanuelle Léonard joue aussi à traquer le réel de nos paysages urbains. À l’aide d’une caméra cachée dans un chapeau, elle a filmé des policiers et gardiens de sécurité à Mexico. Ces hommes en uniforme sont en continuelle représentation. Même dans les moments de faiblesse, surpris en train de sourire à la jeune artiste ou de "cruiser" une autre femme, ils sont toujours dans un jeu de rôle avec leur costume presque théâtral. Montrés au ralenti, ils acquièrent même des allures de danseurs exécutant un ballet bien chorégraphié. Très juste.

Christian Barré nous montre ceux qui vivent à la limite de la norme et de ses contraintes. Des femmes qui sont ou ont été itinérantes ont accepté de poser pour lui et de lui raconter leurs histoires. C’est qu’elles aussi ont un récit, avec sa part de vérité et de fiction. Même dans la marge, on appartient à un tissu social, à un des récits salvateurs ou destructeurs bien typiques d’une époque.

Bien qu’il fasse de la photo documentaire, Martin Désilets souligne quant à lui l’aspect nature morte des espaces urbains. À travers ses images, il nous dit en fait que c’est l’œil du spectateur qui fait l’œuvre, et non le lieu qui interpelle le regardeur. Sous son regard, même un arbre sur le point d’être planté devient intéressant visuellement et intellectuellement. Il nous montre l’étrangeté du territoire urbain. Et ce type de réflexion se poursuit chez Myriam Yates et Pavel Pavlov.

Cette expo montée par le commissaire Réal Lussier, réunissant six artistes dans la trentaine, est d’une grande justesse. L’un des signes de sa pertinence réside dans le fait qu’elle n’est pas réductible à une seule question, mais qu’elle est porteuse d’une multitude de questionnements. Entre autres, elle nous dit comment les systèmes de représentation dépassent la peinture, la sculpture, l’image ou le texte. Même la ville est une représentation.

Jusqu’au 8 janvier 2006
Au Musée d’art contemporain
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