Andrea Szilasi : Le monde à l’envers
Andrea Szilasi poursuit ses expériences photographiques. Après les avoir tramées, voici qu’elle les tranche pour les ré-assembler en d’étranges êtres.
Non, ce ne sont pas des images de monstres ou d’extraterrestres, des planches tirées d’un dictionnaire médical exhibant des anomalies anatomiques indicibles ou des photogrammes tirés d’un film d’horreur. Ce sont des photos d’individus bien humains, ayant deux yeux, deux oreilles et un nez (le tout à la bonne place), des photos bien réalistes, ou que l’on qualifie ainsi, récupérées dans des revues, à peine retravaillées, recomposées très simplement.
Pour ses récents portraits, Andrea Szilasi a emprunté des clichés dans d’anciens magazines (l’ambiance générale fait souvent penser à Life) et dans un album d’images du célèbre photographe canadien Yousuf Karsh. Szilasi a repris ces images, les a découpées en lamelles puis replacées à la bonne place, mais en ne respectant pas nécessairement leur sens, certaines étant placées à l’endroit, d’autres à l’envers. Parfois, comme dans le cas de Head Fist, c’est encore plus simple, Szilasi a tout juste accolé des morceaux d’image. Toujours, le résultat est monstrueux. L’œil n’arrive plus à s’y reconnaître.
Szilasi se prend-elle pour le docteur Frankenstein? Ce qui était un portrait de l’écrivain Hemingway devient, sous son scalpel, de son piquant exacto, un croisement entre un hibou et un loup-garou. À moins que vous n’y trouviez des ressemblances avec le monstre qu’incarnait Jean Marais dans La Belle et la Bête de Cocteau. Plus loin, ce qui était le visage de l’océanographe Jacques-Yves Cousteau ressemble soudain à une oreille.
Le travail de Szilasi renoue avec l’approche des surréalistes. Entre autres, cela évoque les collages de Max Ernst. Mais le but premier du collage avec Szilasi n’est pas de rattacher un sens plus profond à la société, aux rêves ou bien aux gens ainsi transformés. Quoique cet Hemingway ressemblant à un monstre nous parle aussi de certains traits de la personnalité de l’écrivain… Mais la photographe fait plus que cela. Les collages de Szilasi ne sont pas politiques, comme ceux des dadaïstes allemands, ni pure recherche plastique, comme dans le cubisme de Picasso ou de Braque. Dans ses collages, elle touche à un point très important concernant l’effet de l’image.
Tout comme Isabelle Hayeur, dont je vous parlais il y a quelques semaines, Szilasi interroge les mécanismes qui font qu’une image a l’air vraie. Dans ses photos, Hayeur (en particulier dans son expo chez Thérèse Dion) sait créer, par la finesse des détails, par des jeux d’échos visuels, par des passages entre les divers morceaux assemblés, des effets de réalisme là où pourtant l’image n’est que pur montage. Szilasi fait le contraire. Elle reprend des photos très nettes et très détaillées et les "ruine" dans leur capacité à simplement reproduire le réel. Mais elle ne ruine pas leur capacité à créer du sens. Elle nous dit comment le sens d’un morceau d’image dépend de son contexte. Et surtout, elle souligne comment l’œil et le cerveau, qui interprète les stimuli qu’il reçoit, sont des machines à fabriquer, à projeter du sens sur le réel. Szilasi arrive ainsi à ramener l’image photo à une série de taches plus ou moins lisibles, mais où pourtant nous voulons percevoir une valeur plus profonde. Elle nous dit comment la photo est d’un irréalisme effrayant, celui projeté par notre cerveau toujours avide de comprendre le sens du monde qui nous entoure.
Jusqu’au 5 novembre
À la Galerie Joyce Yahouda
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