Raymonde April et Michèle Waquant : Humilité photographique
Raymonde April et Michèle Waquant ont vu leur parcours se croiser sur plus de 30 ans. Leurs œuvres offrent le portrait d’une époque et une réflexion sur la mémoire.
Ne vous laissez pas avoir par le côté rébarbatif que cette expo pourrait avoir au premier coup d’œil. Certes, voici un dispositif installatif qui peut sembler quelque peu clinique, avec ses socles épurés, présentoirs blancs sur lesquels sont alignées, en rang d’oignon, des photos. Même les images sur les murs semblent enfilées un peu sèchement, se suivant sagement à la queue leu leu. Pourtant, voici une expo qui saura se dévoiler à qui saura se laisser imprégner. Elle se révélera comme très sentie et d’une belle intelligence. Rien ici n’est si grandiose ni si impressionnant, mais justement, voici une manière de faire qui ruine la vision de la création comme geste hors du commun.
Dans la première salle la manière de présenter en commun les photos des deux artistes surprend, car elle mine le concept d’auteure. Tout comme plusieurs philosophes, penseurs (dont Roland Barthes) et artistes, Waquant et April remettent en question cette notion. Certes, pour ceux qui connaissent le travail d’April et de Waquant, bien des images sont facilement reconnaissables, clairement identifiables au style de l’une ou de l’autre. Mais néanmoins, souvent le visiteur se trouve confronté à un doute. Dans la succession des photos, le spectateur hésite. April ou Waquant? Waquant ou April? Les deux artistes se sont amusées à montrer en parallèle, à travers le temps, des images très personnelles mais qui, belle surprise, se dévoilent parfois comme très proches. Comme si elles nous disaient qu’en fait elles avaient cherché un rêve commun toute leur vie. Comme si elles se rendaient compte qu’elles avaient été plus les témoins de leur époque que des êtres extérieurs à celle-ci ayant une distance critique absolue. Du coup, elles nous offrent un portrait artistique et social d’une époque. Voici une attitude humble et qui va à l’encontre d’une vision de l’artiste comme être totalement original et différent des autres (vision plus masculine du créateur?)
Et puis, dans une deuxième salle le visiteur est marqué par ces dossiers qu’il faut consulter avec des gants (présentation un peu ancienne, mais qui appuie néanmoins le propos) pour consulter des séries de photos des parents et grands-parents des artistes, ainsi que d’elles-mêmes à différents âges. Au début c’est un peu rébarbatif, et puis on finit par suivre la vie de ces gens qui nous sont inconnus avec un plaisir fou. Vous tournerez les pages de ces albums en espérant en savoir plus sur ce qui est arrivé à l’un et l’autre… Dans ce panorama historico-photographique, le spectateur éprouve là encore un sentiment étrange. Autant ces êtres représentés dans les photos que nous-mêmes (qui possédons aussi ce genre d’albums de photos), sommes-nous tous happés et lentement oubliés par la marche du temps? April et Waquant nous confrontent à la mort et à l’impossibilité, même pour la photo, de garder la mémoire de la vie des êtres et de leurs bonheurs quotidiens. Après quelques générations, les images deviennent presque toutes silencieuses.
Jusqu’au 17 décembre
Au Centre de l’image contemporaine VOX
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