Heidi Taillefer : Au pays de Heidi
Arts visuels

Heidi Taillefer : Au pays de Heidi

Le Cirque du Soleil nous présente Vicissitudes, une exposition de Heidi Taillefer dont on ne sort pas tout à fait indemne.

Si elle est davantage reconnue pour ses toiles denses, colorées et délirantes d’inspiration biomécanique ainsi que pour l’affiche du spectacle Dralion, c’est de tout autre chose que nous parle ici Heidi Taillefer. C’est dans un très bel espace utilisé comme laboratoire d’exploration, niché au centre névralgique du Cirque du Soleil, que l’artiste expose une partie de son imaginaire assez difficilement exposable en galerie. Rencontre fructueuse entre Éros et Thanatos.

VICISSITUDES

C’est au retour d’un voyage en Inde que tout a commencé. Une chute de chameau près de la frontière indo-pakistanaise lui ayant fracturé le bras droit – celui qui peint -, Taillefer doit porter un impressionnant appareil métallique pour garder les os en place. C’est de cette soumission forcée aux contingences matérielles de la vie que les œuvres ont vu le jour. Vicissitudes traite du processus de croissance, d’éveil et de libération cher à la philosophie bouddhiste. Vingt-cinq des vingt-six œuvres de l’exposition sont des tableaux-collages et des sculptures. La vingt-sixième est une sorte de roman-photo, composé de trente photographies peintes: Objects in Mirror Are Closer Than They Appear.

Si la délicatesse esthétique de l’artiste, son attention aux détails, ses préoccupations face à la condition animale et sa fascination pour les rouages et autres pièces mécaniques sont toujours omniprésentes, c’est sa manière de travailler les motifs qui surprend. Crâne humain finement peint et ornementé, engrenages dans des poissons séchés ressemblant à des bijoux dans un écrin, animaux morts coulés dans de l’époxyde, pluie de coccinelles, sexes de femmes étranges (ou est-ce des têtes de poupées?) où sont greffés des cheveux synthétiques et sur lesquels se posent des libellules. Côtoyant des peintures d’angelots pas très asexués, même ledit appareil réducteur de fractures y est. Ça aurait pu être glauque, ça ne l’est pas du tout: on est bien davantage du côté d’un lyrisme syncrétique frôlant le baroque.

MIROIR, MIROIR

Dans le bouddhisme tibétain, on appelle bardo la période entre la mort et la renaissance. Il s’agit d’un état de réalité suspendue dans lequel une série d’occasions est offerte aux défunts d’identifier la vraie nature de la réalité. Si les personnes décédées sont alors capables de reconnaître leurs visions confuses et effrayantes comme leurs propres projections mentales, le cycle infini de naissance et de mort sera surmonté.

Faisant écho à la première série d’œuvres accrochée juste devant elle, la suite Objects in Mirror Are Closer Than They Appear est une métaphore en forme de narration. Une créature féminine se trouve entre la mort et la naissance. Vient ensuite sa naissance, sous le capot d’une vieille Porsche 911. Prenant lentement conscience d’elle-même, elle remarque l’appareil mécanique fixé à son bras et s’identifie de plus en plus avec la voiture. Oscillant entre deux vies (et deux voitures), la créature nouvellement née prend conscience de son altérité, devient de plus en plus mécanisée, vit les premiers émois du désir, le rejet, la colère, la dévastation, le pardon puis le renoncement. Ainsi, elle peut mourir et recommencer un cycle nouveau, jusqu’à la libération finale de la peur et de la souffrance. Oui, elle joue avec notre tête, Heidi Taillefer, et elle le fait extrêmement bien.

Jusqu’au 15 janvier et sur rendez-vous seulement
Dans les locaux du siège social du Cirque du Soleil
www.heiditaillefer.com