Pardon! : Partenariat public-privé
Devant l’expo Pardon!, certains diront que l’art contemporain fait trop dans le voyeurisme… Mais est-ce si simple?
L’art contemporain parle beaucoup de ce qui est intime. Trop souvent et avec ostentation? Chose certaine, cela peut agacer les spectateurs. Prenons un exemple. Lorsque l’artiste française Sophie Calle, qui a trouvé un carnet d’adresses dans la rue, rencontre chacune des connaissances de son propriétaire afin de publier chaque semaine dans le journal Libération le portrait très privé de cet homme, dépasse-t-elle une limite inacceptable?
L’exposition Pardon!, présentée ces jours-ci au Centre Saidye Bronfman, interroge ce type d’action artistique avec toute une nouvelle génération de créateurs: Andrew Dadson, Clément de Gaulejac, Hadley + Maxwell, Ron Tran, Shizuka Yokomizo…
La démarche de Calle semble avoir fait des petits. Voici une expo sur l’interstice, la limite fragile entre espace public et espace privé? Pas si simple. Avant de crier à l’intrusion dans le domaine du personnel ou à la violation de l’espace intime, rappelons-nous comment les pouvoirs religieux et gouvernementaux ont, durant toute l’histoire de l’humanité, tenté de dicter aux individus des manières de faire et de vivre, même dans leur lit. Par exemple, pour reprendre une expression de Pierre Elliott Trudeau, ce n’est que très récemment (en 1969) que l’État canadien s’est retiré de la chambre à coucher de ses citoyens en ne condamnant plus l’homosexualité et la sodomie… Il est peut-être important que les artistes réfléchissent et mettent en scène ces liens, plus ou moins graves, entre les normes publiques et la vie privée, afin de les rendre plus explicites.
Parmi les artistes qui tirent le mieux leur épingle du jeu dans cette exposition, signalons l’Espagnole Jana Leo, qui écrit des lettres types prêtes à être envoyées afin de déclarer son amour, dans le but de rompre ou pour enfin parler à son père… À lire ces lettres, le visiteur aura le sentiment que dans l’acte d’aimer, de se séparer ou dans bien d’autres moments de la vie, se répètent des normes qui dépassent notre identité personnelle. Nous sommes, même dans nos actions personnelles, très intimement liés à la société qui nous a donné la vie.
Les interventions du Britannique Mathew Sawyer, elles aussi, mettent en lumière la présence de discours collectifs dans nos vies personnelles. Il glisse dans la poche d’inconnus des bribes de chansons écrites sur un morceau de papier. Cet acte peut paraître un peu futile, mais il a le mérite de signaler comment la chanson populaire nous accompagne dans nos vies et habite avec force notre mémoire collective. Combien de chansons ont ainsi accompagné nos amours, nos bonheurs ou nos peines?
La commissaire Cate Rimmer a réuni un bel ensemble d’artistes qui tentent plus de nous faire réfléchir aux normes présentes dans nos vies personnelles que de se faire valoir par une forme de voyeurisme de l’espace privé. Cette expo clôt avec intelligence une série de trois portant sur la notion de banal (Le temps qu’il fait en 2004 et Voir grand en 2002).
Jusqu’au 22 janvier 2006
Au Centre des arts Saidye Bronfman
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