Anna Frlan : Voguer à la dérive
L’exposition Submergé d’Anna Frlan offre une allégorie puissante de l’apparente incapacité de notre société à se protéger d’elle-même.
La Galerie de l’hôtel de ville d’Ottawa a été envahie par les larges sculptures d’acier de l’artiste Anna Frlan. L’exposition Submergé réfère aux décombres maritimes, mais aussi au tragique destin guettant l’humanité et à l’apparente incapacité des êtres humains à se protéger d’eux-mêmes. Les pièces exposées à la galerie font en effet partie d’une réflexion que l’artiste a amorcée il y a quelques années quant aux conséquences à long terme de gestes posés envers la nature. La sculpteure n’aspire pas à découvrir la solution à tous ces maux, mais elle observe ou analyse les enchaînements et conclut à deux éventualités: "Soit, tout sera détruit ou il y aura un changement de mentalité et l’humanité devra redéfinir sa façon d’exister et de cohabiter avec la nature."
Cette exposition constitue le point culminant d’un cheminement synergique tant sur le plan philosophique que technique développé par Anna Frlan depuis les cinq dernières années. En expérimentant diverses méthodes de coupe et de soudure de l’acier, la sculpteure a pris conscience des caractéristiques intrinsèques de ce matériau. Par-delà les préconceptions quant à la rigidité et la froideur de l’acier, Frlan métamorphose cette matière et en repousse les limites. En chauffant le métal devenant malléable et fragile ou en le découpant en d’abondantes petites sections soudées formant un assemblage à l’aspect léger et délicat, l’artiste fait ressortir les contradictions entre les apparences et les propriétés de l’acier. Cette altération fait écho à la nature même du matériau qui a subi une transformation industrielle, mais qui "fait aussi partie de la nature".
De la brique et des os (2003) d’Anne Frlan. Médium: acier. Photo: Lawrence Cook |
La pièce centrale, intitulée Ligne de flottaison, symbolise une épave à la charpente osseuse semblant avoir échoué au beau milieu de la galerie, abandonnée et stoïque. L’imposante structure de 152 x 458 x 152 cm a nécessité deux années de laborieux travail. Anna Frlan raconte que le bateau "représente l’humanité et la mort. Il a coulé ou a été englouti par les flots. Par contre, les ossements courbés semblent flexibles et en mouvement, suggérant la possibilité de survie sous une nouvelle forme".
C’est en étudiant les modèles de croissance de végétaux ou de formes vivantes plus primitives qu’Anna Frlan a fait le pont vers l’observation des écosystèmes. La pensée et les préoccupations de l’artiste avaient trouvé une nouvelle direction! Des originales formes organiques inspirées de la nature, les sculptures évoquent dorénavant la disparition de cette même nature. "Ce que j’observe, c’est le comportement de notre société, la pollution, le grand nombre de cas d’asthme. Il n’y avait presque pas de cas d’asthme ou d’allergies chez les jeunes enfants dans ma jeunesse! Est-ce que notre système immunitaire est aussi affecté?"
Dans une société où l’on discourt abondamment et sur tous les tons des vertus d’une société écologiquement responsable, des conséquences néfastes sur l’environnement et les êtres vivants, où les dirigeants de nombreux pays vont de rencontres en conférences afin de trouver un terrain d’entente qui ne semble jamais aboutir, les œuvres troublantes d’Anna Frlan portent à réfléchir et nous renvoient une vision saisissante qu’on ne peut plus ignorer.
Jusqu’au 2 janvier 2006
À la Galerie d’art de l’hôtel de ville d’Ottawa
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