Guy Blackburn : Sur le bout de la langue
Arts visuels

Guy Blackburn : Sur le bout de la langue

Tirez la langue. Soyez irrévérencieux. Cet organe que vous offrez au monde en lui faisant la grimace est le lieu de tous les surgissements pour Guy Blackburn.

Un enfant passe dans la rue. Il regarde autour, se sent seul, s’approche d’un réverbère où reluit une mince couche de glace. Il espère de toutes ses forces que personne ne le verra, puis il sort la langue. Les papilles sont autant d’ouvertures sur le monde, autant d’outils pour aborder le réel. C’est une invitation à goûter la vie que nous lance Guy Blackburn lors du vernissage de son exposition intitulée Touche, qui aura lieu jeudi à 17 h. "C’est intéressant de voir comment tu peux toucher le monde avec une langue. Au sens propre comme au sens figuré. Ce qui m’intéresse dans la langue, c’est les papilles gustatives. Ce signe-là." Son travail à partir du signe des papilles lui permet de traiter l’immatériel. Parce que la saveur existe sans pouvoir être véritablement touchée. La langue que l’on passe sur les lèvres, qui goûte la fraîcheur du vent ou le sel du bord de mer… tout est prétexte pour se sentir ancré dans le monde. Et lorsque la langue sert de pont entre les êtres, lorsqu’elle lèche, qu’elle dévore ou qu’elle découvre profondément l’autre à travers un baiser, il se passe quelque chose: elle ouvre une porte sur l’indicible. Les papilles deviennent alors de superbes bijoux offerts à l’être désiré, cherchant tant à le séduire qu’à le couvrir. Tirer la langue n’est alors plus un affront, mais un jeu de séduction.

Après trois mois de résidence au Centre d’estampe Sagamie, Blackburn, perfectionniste, est enfin prêt à partager son travail. "Ce qui est important, c’est d’aller plus loin que juste nommer. C’est là où la réflexion entre en ligne de compte. À un moment donné, il faut que tu t’assoies humblement et que tu te dises, regarde, ce qui fonctionne dans ta tête, pour le spectateur, ça ne fonctionne pas encore. Puis là, tu travailles." Pour cette exposition, Blackburn avait le mandat d’intégrer l’image numérique à un mode installatif de présentation, mais il ne s’y est pas restreint: il a plutôt entremêlé installation et photo, donnant une épaisseur surprenante à l’image, mais la laissant aussi pénétrer l’ensemble, furtive et secrète.

Touche, c’est aussi une référence au problème fondamental auquel sont confrontés tous les artistes qui font de l’installation: "Comment ma sculpture va toucher le sol? Moi, je prétends que la façon dont on dépose le pied sur le sol en dit long sur ce qu’on est." Il faudra y penser lorsque nous entrerons dans l’univers délicat de Blackburn.

UN NOUVEAU CENTRE

Ce sera du même coup la première occasion pour le public d’apprécier le nouvel espace de diffusion dont ce sera l’inauguration jeudi. On peut dire que Nicholas Pitre, directeur du centre, est un visionnaire. Il a encore bien des projets pour l’avenir. "Ce qu’on veut, c’est que la production importante en art contemporain numérique soit faite ici à Alma. On ne veut plus attendre après les grandes villes, on veut devenir un centre important, que Montréal devienne une périphérie", lance-t-il, mi-sérieux. Il faut dire que tout ce qu’il touche est voué au succès… Même si ça ne va jamais assez vite pour lui. "Il faut faire les choses pas à pas, une étape à la fois", conclut-il. La première étape est ce soir…

Du 8 décembre au 31 mars
Au centre d’exposition Sagamie
Voir calendrier Arts visuels