Irene F. Whittome : Mise en forme
Les œuvres sur papier d’Irene F. Whittome font l’objet d’une rétrospective à la Galerie Simon Blais. Une dénonciation d’un monde trop rationnel?
Je dois dire mon désenchantement et même mon scepticisme devant plusieurs des plus récentes pièces d’Irene F. Whittome. En 1999, elle exposait au CCA (Centre canadien d’architecture) trois installations qui se réappropriaient les formes extérieures de divers rituels sans pour autant véhiculer le contexte socioculturel de ceux-ci. Par exemple, le spectateur pouvait y voir la maquette d’un stûpa (monument commémoratif en Inde) placée sur une table très à la mode du designer italien Ettore Sottsass… Décevante était aussi sa présentation cet été à Shawinigan, lors de l’événement Les éléments de la nature. Certes, l’expo en général était extrêmement mal installée (que dire sur la manière d’accrocher dans le vide les tableaux de Paterson Ewen, sinon que c’était consternant), mais néanmoins les œuvres de Whittome manquaient d’affect. Je sais bien que son travail effectue souvent une critique de la muséification de l’art et des cultures, du processus qui aseptise les objets placés dans des collections. Mais cette distance critique me semble devenir de plus en plus mince au profit d’une ostentation de signes religieux, culturels ou même naturels qui, malgré tout le sérieux de l’artiste, frôle trop souvent, dans les résultats, un formalisme qui manque de profondeur. À moins que cela soit cette superficialité des discours que cherche à dénoncer Whittome… Mais j’en doute. Cette fois-ci, le stûpa était placé sur un gros bloc de granit et semblait déconnecté d’une spiritualité réelle pour devenir le signe d’un travail formel qui ne manquait pas de beauté, bien au contraire.
C’est donc avec intérêt que je me suis rendu à la Galerie Simon Blais (qui représente maintenant Whittome) voir des œuvres plus anciennes de cette artiste très active sur la scène québécoise et canadienne depuis les années 60 et qui dans le passé a retenu l’attention de la critique (Whittome a reçu le prix Paul-Émile Borduas en 1997). Nous nous souviendrons entre autres de son événement le Musée des traces, réalisé il y a déjà 16 ans. Cette expo hante encore l’imaginaire collectif. Avec raison.
Malheureusement, voici une présentation inégale dans son contenu. Pourtant, les pièces qui composent cette rétrospective des œuvres sur papier (en majorité produites dans les années 70), possède une unité visuelle, grâce à plusieurs éléments. Des pièces, tout en blanc et où se répètent des systèmes de classement (épingles, étagères…) nous parlent de cette systématisation presque délirante des processus de catalogage (qu’effectuent les musées, mais aussi bien d’autres lieux d’archivage). Mais, dans ces créations, je ne saisis malheureusement pas toujours le dépassement du processus mis en scène. Je voudrais, moi aussi, croire, comme l’écrit Anne Bénichou dans le catalogue de l’expo, que "dans les années 1970, le travail d’Irene F. Whittome participe à bien des égards de cette dialectique rationnel/irrationnel et de cette réinscription oblique du sujet créateur dans l’œuvre", mais j’ai du mal à saisir cela dans les pièces présentées.
Souvent, j’ai la sensation que le processus systématique utilisé par l’artiste avale totalement son œuvre. Il y manque un aspect caustique ou déstabilisant. Marcel Broodthaers, qui, lui aussi, a souvent travaillé les accumulations et les assemblages, (comme Whittome, lui aussi affectionnait les œufs, mais cassés, pour signifier le vide des apparences, la coquille vide de certains discours) savait, avec ses accumulations, donner dans un délire bien plus excessif afin de dénoncer les signes d’un irrationnel social et économique.
Je crois qu’en fait Whittome est confrontée au même problème visuel majeur que Louise Nevelson. Quand ses assemblages de boîtes deviennent trop beaux, ils perdent de leur fonction critique et de leur aspect effrayant. Ici ce n’est pas le noir élégant de Nevelson qui fait perdre sa fonction critique à l’œuvre, mais le blanc très chic ou le fini impeccable du travail de Whittome qui rend d’un esthétisme très froid la grande majorité de ses interventions.
Jusqu’au 24 décembre
À la Galerie Simon Blais
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