Ed Pien : Chronique de l’étrange
L’artiste torontois Ed Pien revient à Montréal avec un nouveau solo. Une expo fantastique, dans tous les sens du terme.
L’année 2005 en arts visuels finit par un feu d’artifice, par une expo ensorcelante d’Ed Pien à la Galerie Pierre-François Ouellette. Cet artiste, qui avait déjà été bien remarqué à la 3e Biennale de Montréal en 2002, revient avec un solo digne de cette précédente intervention. Il y développe encore plus cette esthétique du féerique dont je vous parle déjà depuis un bout de temps et qui se répand à travers l’art occidental comme une traînée de poudre. Mais il n’est pas à la remorque des autres créateurs. Loin de là.
Dès l’entrée, le ton est donné avec des dessins qui tiennent du conte pour enfants, avec un soupçon de film d’horreur. Ces œuvres sur papier montrent des êtres qui ressemblent à des monstres, à des elfes, à des personnages ensorcelés ou même possédés (certaines pièces évoquent en effet davantage l’univers de Poltergeist que celui du Seigneur des Anneaux). Et puis, sur le mur de gauche, une immense murale de papier découpé (mesurant 2,60 mètres de haut par 4,88 mètres de large!), imposant travail de patience, intitulée Night Gathering, saisit le spectateur et l’ensorcelle lui aussi. Cette œuvre fait penser à la fois à des ombres chinoises, aux projections des lanternes magiques et aux taches d’encre du test psychologique de Rorschach (il faut dire que le monde du féerique a des liens étroits avec l’univers de l’inconscient). Une œuvre qui semble mettre en scène des morts vivants, des âmes errantes… Nous pourrions y voir aussi comme une tribu d’êtres mi-humains, mi-singes vivant dans un arbre ayant étrangement des allures de tête de sorcière à la chevelure abondante et décoiffée. L’esprit du connaisseur y reconnaîtra une référence aux Pendus de la série Les Misères de la guerre gravée par le Français Jacques Callot (ayant vécu au 17e siècle). L’œil de l’amateur y retrouvera un plaisir, un jeu visuel qui prend ses racines dans les dessins de l’enfance. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’une dentelle visuelle impressionnante. Il est à souhaiter qu’un musée québécois achète cette pièce.
Et puis, dans la petite salle de la galerie, ce voyage merveilleux se poursuit avec cette fois-ci une sorte de forêt enchantée. L’installation The Promise of Solitude est une immense construction, elle aussi faite de papier découpé, à laquelle s’ajoute une projection vidéo. C’est un genre de petit labyrinthe très proche de l’œuvre Earthly Delights: the Garden and the Fountain of Youth, œuvre que Pien présentait à la Biennale de 2002. Mais cette fois-ci, le ton est encore plus mystérieux, et l’œuvre encore plus efficace dans ses effets. Pien a acquis davantage de maîtrise et d’intuition dans sa démarche. Les éclairages de la salle dramatisent, théâtralisent encore plus ces papiers découpés qui forment des arbres. Les projecteurs les transforment en une série d’ombres inquiétantes. Hänsel et Gretel ne sont pas loin. Mais au cœur de cette forêt, ce n’est pas une sorcière qui nous attend, mais une femme au corps couvert de cheveux, une Marie-Madeleine, ici montrée par un dessin, là exhibée dans un vidéo. Chez Pien, cette sainte devient comme un symbole de ces voyages initiatiques où l’on s’ouvre à un monde extérieur, mais aussi à un univers intérieur: "De tels voyages, nous dit Pien, nécessitent un abandon du familier afin de laisser place à la possibilité de nouvelles rencontres et à l’expérience d’un état de transcendance." Il y a finalement quelque chose de presque rassurant dans ce voyage vers l’étrange, vers l’étrangeté (vers l’étranger?), vers l’inconnu que nous propose Pien. Ce qui nous semble inquiétant se dévoile comme une occasion de mieux nous connaître.
Une expo à ne pas rater. Cela sera d’autant plus facile que la galerie restera ouverte entre Noël et le jour de l’An. Renseignements: www.pfoac.com.
Jusqu’au 21 janvier 2006
À la Galerie Pierre-François Ouellette art contemporain
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