John Gossage : Le déclin de l’empire américain?
Dans Empire, John Gossage nous confronte au destin des civilisations. Une expo qui accompagne Sensations urbaines, prônant un urbanisme sensoriel.
Tous les empires finissent par s’écrouler. C’est en tout cas la morale que le photographe John Gossage semble vouloir nous amener à tirer avec son exposition Empire, présentée ces jours-ci dans la salle octogonale du Centre canadien d’architecture (CCA).
Décrivons l’installation. Dans une mise en abyme (qui, nous le verrons, ne manque pas de piquant), Gossage a juxtaposé assez simplement deux séries de photos. L’une a été réalisée par le chimiste, physicien et photographe Hermann Wilhelm Vogel. Elle montre des ruines importantes de l’antique empire des pharaons, Vogel ayant été envoyé en Égypte en 1868 par le Kaiser Guillaume Ier (qui dirigeait alors l’Empire allemand) afin de documenter une éclipse du Soleil ainsi que les monuments importants de ce pays. L’autre série de photos, aussi de petits formats, a été prise par Gossage dans la ville de Washington il y a une quinzaine d’années. Gossage confronte donc 21 images effectuées par Vogel avec celles qu’il a réalisées (une trentaine) de divers monuments et lieux importants de la capitale états-unienne: le Capitole, le Pentagone, le Jefferson Memorial, le Lincoln Memorial, la Maison-Blanche… Ces bâtiments ne sont pas en ruine, mais juste par des cadrages, Gossage arrive à nous les rendre méconnaissables, étrangers à notre mémoire. Du coup, le sens de cette installation paraît assez clair. Le photographe américain nous dit comment tout passe, tout s’écroule, tout finit par redevenir poussière, même les empires les plus puissants… Et il le fait sur un ton sarcastique indéniable et en utilisant une mise en abyme digne des célèbres poupées russes. Gossage, qui appartient à la culture de l’empire américain, nous raconte en effet par l’image comment un empereur d’un empire maintenant disparu a commandé à un photographe des clichés d’un autre empire déjà éclipsé… Voilà qui devrait faire réfléchir. Certes… Mais entre le regard de l’histoire (presque celui de Dieu) et la réalité du temps présent, il y a un écart majeur. La ruine inévitable des empires est-elle un concept qui consolera ceux qui, dans le présent, sont dominés par des pouvoirs économiques ou militaires? Je doute qu’un travailleur, dans un sweatshop au Bangladesh fabriquant des t-shirts qui se retrouveront dans un magasin Wal-Mart (un autre empire, commercial) ouvert au Canada ou en Chine, y voie un sens de la justice. Mais bon, je me trouve du coup à poser toute la question du réel impact social de l’art et la réponse n’est guère évidente…
Jusqu’au 12 mars
Au Centre canadien d’architecture
EMBRASSER LE MONDE
Il faudra profiter de cette visite au CCA pour admirer l’impeccable installation montée pour l’exposition Sensations urbaines, déjà en place depuis la fin octobre. Voici une manière d’exposer qui devrait faire école. Cette présentation, qui parle de l’importance des sens dans notre rapport à l’espace urbain, a été pensée avec justesse pour tous les sens. Une salle (fascinante) est dédiée au son, une autre interroge plus les odeurs, une troisième, le sens du toucher…
Mais on restera tout de même très attentif à une ambiguïté théorique inhérente au projet. Parfois le visiteur sent la présence d’un discours très critique à propos de l’artificialité de certains types de contrôle effectués sur la vie grouillante de la ville. Parfois, au contraire, le visiteur sentira un désir de donner encore plus de pouvoir au travail de l’architecte et de l’urbaniste sur notre environnement citadin. Voilà un tiraillement souvent énervant. Car s’il faut choisir entre, d’une part, des espaces où tout serait pensé, du bruit aux odeurs en passant par les éclairages, et, d’autre part, une ville grouillante, organique (où il serait, par exemple, encore permis de se promener et de faire du bruit la nuit dans les parcs, ce qui n’est plus le cas à Montréal), le choix me semble facile… Les villes ou les quartiers les plus intéressants sont encore ceux qui sont le moins embourgeoisés. La vie n’est pas totalement contrôlable et ne doit pas le devenir. À la notion d’urbanisme sensoriel auquel le catalogue se réfère, il faudrait peut-être confronter la notion d’un urbanisme organique.
Jusqu’au 10 septembre
Au Centre canadien d’architecture
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