Le trio fantastique : Chasse-galerie?
Le trio fantastique formé de Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère et Nicolas Laverdière, connu sous l’acronyme BGL, expose chez Art Mûr. À la recherche du sens du monde.
Les revoilà, enfin! Cela fait déjà quatre ans que le trio d’artistes de Québec a eu son fabuleux solo au Musée d’art contemporain (MAC) et je dois avouer que j’étais très impatient de les revoir. Il faut dire que l’installation À l’abri des arbres était toute une réussite, une des meilleures que la Salle Projet du MAC ait hébergée (quatre ans plus tard, c’est encore vrai). Esthétiquement, c’était surprenant. Cela se présentait comme une sorte de grotte remplie de cadeaux de Noël, sorte de caverne d’Ali Baba, mais vision nord-américaine. Intellectuellement aussi, ça tenait la route, l’expo traitant de notre société de consommation et de notre habitude folle de gaspiller les ressources naturelles. Le visiteur s’apercevait en effet qu’il était comme sous terre, dans une sorte de dépotoir pour tous les emballages et cadeaux jetés…
Alors, qu’en est-il de l’expo chez Art Mûr, leur première dans une galerie commerciale? Elle est certes plus éclatée. Pour l’occasion, le trio a repris des pièces présentées ici et là (comme ce Bosquet d’espionnage montré à Toulouse en 2004), mais pour l’événement, il a aussi spécialement créé de nouvelles choses. Devant cette fragmentation, le public restera surpris, décontenancé même. Nous pourrions même reprocher à l’ensemble une tension, pas toujours totalement digérée, entre les objets plus anciens (et à vendre) et la partie plus proprement installative. Et puis quatre ans plus tard, certains qui n’auraient pas suivi leur travail ne reconnaîtront pas le trio. Mais BGL n’aime pas faire du BGL. Ces artistes ne souhaitent pas proposer une création à laquelle le public s’attendrait. Lorsque les amateurs ont commencé à les identifier à un travail fait en bois, ils ont vite abandonné ce matériau. Encore cette fois, BGL ressurgit là où on ne l’attendait pas. Et c’est très bien ainsi.
Dans Se la jouer commercial (esthétique de présentation), ils continuent néanmoins à réfléchir à des moyens pour déconstruire le réel, à poser un regard critique sur le monde (et ses systèmes de représentation). Une sorte de tourniquet, intitulé Venise et composé d’un orignal empaillé qui tourne sur lui-même, attend le visiteur à l’entrée. Il suffit de lui donner une poussée pour que celui-ci nous cède le passage… et nous poursuive si on n’avance pas assez vite. Une œuvre qui fait écho à celle de Germain Koh (exposée au MAC dans L’Envers des apparences) montrant un vrai tourniquet de métal tournant selon le gré du vent.
Les artistes actuels semblent très préoccupés par la question de l’autonomie de leur création vis-à-vis de la loi de la rentabilité (succès auprès du public, nombre d’entrées suscitées par les œuvres lorsqu’elles sont présentées dans un musée…). Se la jouer commercial parle aussi du lien entre l’artiste et le milieu de l’art, une bête que l’on chasse mais qui peut aussi nous chasser! Comme si le milieu de l’art (et des galeries) était un piège, une mécanique servant à empailler la création des artistes. D’où ce besoin de BGL de fuir la répétition. Et puis cela se poursuit un peu plus loin avec Besoin de croire, installation très épurée. C’est comme un sous-sol de chalet de chasse avec son (faux) foyer et une lumière qui s’allume et s’éteint. Qui opère ce lieu? Quelle en est sa signification? BGL nous confronte ici à notre quête de sens. L’art, comme autrefois Dieu, cristallise ce besoin de croire qu’il y a une vérité supérieure. Mais quelle est-elle? Le vidéo Rapides et dangereux va aussi dans ce sens. Vous y verrez le trio se déplaçant dans Québec, sous le regard médusé des citoyens, dans ce qui tient à la fois d’une moto et d’un bobsleigh, tous trois vêtus de tenues aérodynamiques. Que font-ils? Nul ne le sait, sauf eux, et encore… Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont l’air professionnels et qu’ils semblent totalement absorbés par leur désir de faire ce qu’ils font. Et peu importe ce que le public, la critique, la galerie ou le musée en pensent… Heureusement.
Jusqu’au 18 février
À la Galerie Art Mûr
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