Catherine II de Russie : Côté cour
Arts visuels

Catherine II de Russie : Côté cour

L’impératrice Catherine II de Russie (1729-1796) est au cœur d’une expo du Musée des beaux-arts. Une réflexion sur les liens entre l’art, la culture et les puissants.

Non, je ne profiterai pas de cet événement pour vous parler de la relative pertinence des contenus des expos grand public, de ces blockbusters qui ont envahi les musées depuis le 20e siècle. Je ne vous dirai pas comment elles sont un peu vues comme les vaches à lait (traites trop souvent) par les musées, qui tentent d’y trouver une manière d’augmenter leurs revenus au moment où les gouvernements serrent de plus en plus la ceinture à la culture, à tous ces artistes, centres d’expositions et musées si gras… J’aurais trop beau jeu de critiquer le manque d’actualité de ces énièmes expos sur les impressionnistes (tellement méconnus du public…) ou sur Auguste Rodin et sa liaison avec Camille Claudel (comme on a encore pu le voir au Musée de Québec il n’y a pas si longtemps). Je risquerais aussi de critiquer (trop vite) cette manière qui consiste à utiliser de grands noms de l’histoire pour attirer les visiteurs. Non, je ne vous parlerai pas de ça, tout cela m’apparaissant en fait le résultat d’une situation plus embêtante.

Car la vraie question que pose cette exposition sur Catherine la Grande au MBA n’est pas là. Elle est bien plus préoccupante que cela et malheureusement plus déprimante. La véritable problématique soulevée par cette exposition concerne la place de l’État, des puissants et des riches dans la production artistique, mais aussi dans le développement du monde des idées. Et cette question est tout à fait d’actualité de nos jours où nos gouvernements, dans un double discours (un de plus), veulent une culture canadienne et québécoise forte, mais en n’investissant pas les montants qu’il faudrait. Ces gouvernements ressemblent à Harpagon demandant à son cuisinier de faire "bonne chère avec peu d’argent"! Que voulez-vous, comme la commission Gomery nous l’a démontré, il n’y a plus le moindre sou à gaspiller dans notre beau pays…

ANNÉES LUMIÈRES

À voir cette expo, on pourra presque regretter ce siècle des Lumières, ce siècle des tyrans éclairés qui savaient s’entourer de peintures et sculptures grandioses et qui rêvaient aussi de collectionner des philosophes.

Car Catherine la Grande savait s’entourer de belles choses. La salle principale de l’expo au MBA en est une démonstration grandiose. Vous y verrez des tableaux de Poussin, de Chardin, de Greuze (avec la célèbre Piété filiale), de Reynolds, de Kauffmann… Le Saint Jean-Baptiste de Mengs est totalement saisissant. Une merveille.

Tout comme Frédéric II de Prusse, qui avait su attirer Voltaire à Postdam dans les années 1750, Catherine II fit venir Diderot à Saint-Pétersbourg en 1773-1774. Elle sut séduire le grand homme (qui l’a conseillée longtemps dans ses achats artistiques). Apprenant qu’il devait vendre sa bibliothèque, elle la lui acheta en viager et lui offrit de plus une pension afin d’en assurer la gestion en tant que… bibliothécaire! Elle acheta aussi, à la mort de Voltaire, les 7000 ouvrages que possédait celui-ci. Dans sa bibliothèque réinstallée à l’Ermitage, elle allait se recueillir, le célèbre Voltaire assis du sculpteur Houdon lui tenant compagnie. Elle voulut aussi se faire construire dans son jardin une réplique, de taille réduite, de la maison de Voltaire à Ferney. Marie-Antoinette avait son petit hameau de bergère, Catherine rêvait d’avoir dans ses jardins une maison, non pas de poupée, mais de philosophe. Les puissants en cette fin de 18e siècle ont décidément un côté kitsch indéniable.

Tout comme l’expo consacrée à Richelieu en 2003 au MBA, Catherine la Grande: un art pour l’Empire montre l’importance de l’implication des puissants qui gouvernent dans la constitution d’une culture nationale rayonnante.

Mais l’art et la pensée doivent-ils se soumettre aux caprices de l’histoire et aux aléas hasardeux des règnes des rois? Devons-nous laisser les écrivains et philosophes devenir les bibliothécaires de leurs livres? En notre époque si médiocre politiquement, il serait tentant de glorifier la figure du grand mécène (le catalogue parle du "mécène éclairé", de la "protectrice des arts") comme pouvant nous sauver du manque de vision et de la petitesse intellectuelle de nos dirigeants. À la place de la bureaucratie actuelle, des subventions gouvernementales, nous voudrions un système plus noble, valorisant davantage le talent… Mais malgré les limites du système actuel, il permet une certaine liberté créatrice qui dépend moins du bon plaisir des Grands. Voltaire, qui s’est querellé avec son Frédéric, ne pourrait me blâmer.

Jusqu’au 2 mai
Au Musée des beaux-arts
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