Anselm Kiefer : Renaître de ses cendres
L’artiste allemand Anselm Kiefer est à l’affiche du Musée d’art contemporain dans le cadre d’une grande rétrospective, la seule à avoir été montée en Amérique du Nord depuis près de 20 ans.
La germanité (avec, entre autres, sa glorification de la forêt), les mythes anciens, le romantisme, la spiritualité, le langage secret de la Kabbale juive, la guerre, les liens entre l’humanité et l’univers: voilà des thèmes bien délicats à aborder. Voilà cependant quelques-uns des sujets dont discute l’artiste Anselm Kiefer dans son œuvre réalisée depuis la toute fin des années 60 et dont vous pourrez voir une soixantaine de pièces (peintures, sculptures, livres…) au MAC.
Bien sûr, ce sont de nos jours des sujets minés, surtout si on est Allemand. Kiefer (un des peintres allemands les plus connus sur la scène internationale avec Gerhard Richter) travaille néanmoins sur eux avec passion et, du coup, nous pourrions dire qu’il chemine sur le fil du rasoir. Mais a-t-il vraiment le choix? Quand on a grandi en Allemagne dans l’après-Seconde Guerre mondiale, comment éviter de parler de cela sans avoir l’air de jouer à l’autruche? Kiefer est l’héritier de ces grands thèmes, le héros involontaire d’une histoire écrasante, dont il est l’actif dépositaire. Dans cette expo, intitulée justement Entre ciel et terre, le visiteur finit par voir en Kiefer une forme de shaman, un guérisseur, un exorciseur, un de ceux qui, des ruines de l’après-guerre, tentèrent de faire ressurgir la vie sans pour autant céder à l’amnésie.
Kiefer est né en 1945, le 8 mars, à Donaueschingen, petite ville du sud-ouest de l’Allemagne, proche des frontières suisse et française. C’est la fin de la guerre et les bombes tombent encore sur son pays. Dans une rare entrevue que Kiefer a donnée en 2005, pour ses 60 ans, au journal Die Zeit (où il en profite pour comparer la guerre en Irak de Bush à un "film de cowboys très cliché"), il raconte comment il est né dans la cave d’un hôpital alors que les soldats français entraient en Allemagne. Il narre alors cette histoire qui, à elle seule, se révèle comme une des clés de son travail: ses parents lui mirent de la cire dans les oreilles pour qu’il n’entende pas le bruit effrayant des bombes. Il se plaît alors à se comparer à un personnage de l’Odyssée d’Homère, aux marins à qui Ulysse demanda de se boucher les oreilles pour ne pas entendre les sirènes. Et toute son œuvre est marquée par ce désir de symbolisme, cette volonté de donner du sens au temps présent grâce à des récits rédempteurs. Dans cette même entrevue, il explique comment les décombres faisaient partie de son paysage quotidien et comment il ne les percevait pas nécessairement d’une manière négative, mais comme signe d’un nouveau point de départ. Là encore, il nous dit comment il faut créer du sens pour survivre et nous parle de sa volonté de trouver un moyen de retourner, comme un gant, l’horreur en œuvre d’art.
LE LENDEMAIN DU DÉSASTRE
Dans les années 80, Kiefer me semblait aborder de grandes questions avec un symbolisme parfois trop simple. Le feu, les serpents, les ruines emplissaient ses tableaux pour nous parler de la mort, de la tentation du mal, de la destruction… Dans cette expo, vous verrez quelques-unes de ces pièces à la symbolique parfois trop évidente. Mais avec les ans, son travail a gagné la grâce. Quoiqu’il ne soit pas à l’abri de quelques facilités, telle cette sculpture qui est utilisée par le MAC pour son affiche et qui montre un livre surmonté par deux grandes ailes – une œuvre qui fait penser au film Les Ailes du désir de Wim Wenders (nous parle-t-il de la mort de la culture ou du livre comme ange gardien de cette culture?).
À ce livre-ange je préfère ces livres faits de ses propres toiles brûlées, recouvertes de colle et de fusain, et qui semblent juste être composées de cendres. Ces Cauterization of the Rural District of Buchen nous disent l’Allemagne, mais aussi tout l’Occident et la planète, subissant comme Herculanum et Pompéi dans l’Antiquité l’effet d’un gigantesque désastre. Une œuvre qui aurait pu facilement être ratée… Or quand elles arrivent à glisser sur le fil du rasoir, les œuvres de Kiefer touchent au merveilleux.
Les dernières salles (en particulier la toute dernière) sont certainement celles qui comptent les œuvres les plus réussies. À ne pas rater.
Jusqu’au 30 avril
Au Musée d’art contemporain
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