Martin Bureau : Peintures de guerre
Arts visuels

Martin Bureau : Peintures de guerre

Avec Panique au village, Martin Bureau livre sa production de l’année 2005. Ses derniers tableaux, exposés chez Lacerte, sont plus que jamais ancrés dans son environnement et branchés sur la vie.

Martin Bureau

, 33 ans, mène ce qu’on pourrait appeler "l’existence dont rêve tout peintre". Depuis 10 ans, plusieurs collectionneurs le soutiennent, achètent ses œuvres et attendent toujours avec impatience ses nouvelles expositions. À ce précieux soutien qui lui permet de vivre de sa peinture s’ajoute aussi celui plus sporadique du Conseil des arts et des lettres du Québec ainsi que l’appui inconditionnel de la Galerie Madeleine Lacerte à Québec et de sa division montréalaise, Orange. L’engouement pour l’œuvre de Martin Bureau est maintenu grâce aux risques que prend toujours le peintre. C’est Martin Bureau qui provoque lui-même les changements: "J’essaie de me casser moi-même pour me stimuler à peindre. Le pire ennemi du peintre, c’est se répéter…" Il ne lâche pas prise depuis 10 ans, et chacune de ses nouvelles productions suscite toujours beaucoup d’attentes. Et quoi de plus précieux pour un artiste: un public s’intéresse à sa peinture!

"La peinture se nourrit de tout", explique l’artiste, dont la source d’inspiration de la plupart des tableaux récents se trouve dans les images captées par les caméras de surveillance (!) installées à Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans, où il vit et travaille. Ces caméras, elles surveillent l’église, les joueurs de pétanque, le jardin d’enfants, le fleuve, l’horizon… Son atelier étant installé au centre municipal, la présence des caméras filmant les allées et venues des habitants ne pouvait laisser Martin Bureau indifférent. Il en a fait le point de départ d’une partie de ses tableaux récents et le prétexte à l’élaboration d’une fiction où il nous amène d’un tableau à l’autre.

VISER JUSTE

Panique au village pourrait s’envisager comme la métaphore de tous les combats que l’on mène dans une vie. Mais ces bombes qui tombent sur l’île d’Orléans parlent aussi des guerres réelles… Dans ce "docu-fiction" peint à l’huile sur toile, on joue dans la neige sous des ciels dramatiques, comme dans le tableau Les Frappes préventives, où le ciel illuminé de bombardements nocturnes reprend les images télévisées de l’intervention des États-Unis en Irak. Dans le trio Attaque chirurgicale, la mire d’un fusil, peint au premier plan, cherche le clocher de l’église et le trouve. Mais ces tableaux ne sont ni tout à fait des scènes de guerre ni des scènes de genre peintes dans la sérénité de la nature. Et cette incertitude recherchée participe à l’intérêt de la peinture de Martin Bureau. À l’instar de plusieurs peintres contemporains, il cultive une figuration de l’ambiguïté, comme une façon de mieux mettre à distance la société de l’image: "Un tableau réussi est un tableau ambigu", explique l’artiste. Et ses tableaux sont pour la plupart doubles en effet, nous laissant incertains devant le sens qu’on serait tentés de leur donner pour définitif. Nous sommes assurés d’une chose cependant: de la force des images, du choc des couleurs, charmés de tous les effets que seule la peinture peut produire.

Battleship au clair de lune – dont le titre s’inspire du fameux jeu pour enfant – est un des tableaux les plus classiques du groupe, le plus aérien sans doute. Un paysage au traitement souple et désinvolte. Les paysages sont peut-être les tableaux les plus séduisants de cette série. "Ce n’est pas étonnant, réplique Martin Bureau, on porte le paysage dans notre imaginaire!" Dans ces scènes mille fois rejouées de l’histoire de la peinture, on ne s’aventure pas sans risque. Martin Bureau parvient cependant à revisiter le genre en lui intégrant quelque chose d’électrique. Dans ces tableaux, il y a toujours quelque chose qui se consume, inscrivant les images fixes dans une dimension temporelle, troublant la quiétude. Les ciels s’ouvrent. La peinture s’embrase. L’horizon s’illumine dans la nuit, le fleuve livre ses reflets. Martin Bureau précise: "C’est très permissif de peindre des paysages." Cela relèverait ainsi du plaisir de rendre le ciel, l’eau, les ombres bleues sur la neige, le feu aussi. Et s’il y a toujours quelque part un feu qui brûle – un des motifs de prédilection de l’artiste -, c’est aussi parce qu’il s’agit d’un motif des plus intéressants à peindre, avouera encore Bureau.

On ne s’étonnera pas trop que la notoriété de cet artiste s’étende par-delà le champ des arts visuels. En parallèle au travail plus solitaire de l’atelier, Martin Bureau s’active en équipe et reformule alors, sous un autre éclairage, sa vision du monde. Sa feuille de route est remplie de projets photographiques, de vidéo (il a réalisé plusieurs vidéoclips), et il s’est distingué dans la réalisation de pochettes de disques (celles de Fred Fortin, Galaxie 500, Faulkner, Charlebois). Outre un projet de montage vidéo où il retravaillera les images des caméras de surveillance de Saint-Jean lors d’une résidence de création à la Galerie Le Lobe de Chicoutimi, il participe actuellement à un film documentaire sur Schefferville en collaboration avec le géographe Luc Renaud et avec son caméraman acolyte, Jean-François Dugas. Il s’agit d’un documentaire sur les relations entre les colonisés et le colonisateur, les autochtones étant désormais installés sur les lieux mêmes que les Blancs ont déserté à la suite de la fermeture de la mine en 1982.

Avec Panique au village, la production de Martin Bureau est à la fois tournée vers le monde, témoin de moments plus intimistes et plus que jamais ancrée dans son milieu de vie: s’y jouent la petite et la grande histoire. Et c’est peut-être à cause de cela qu’elle touche ici à quelque chose de fondamental. Si l’art a un pouvoir d’évocation, si la peinture enchante toujours par sa fascinante pérennité, ce sont là sans doute des qualités qu’on peut aussi attribuer aux œuvres de Martin Bureau. L’inauguration aura lieu en présence de l’artiste, entre 16 h et 19 h le samedi 25 février, à la Galerie Madeleine Lacerte. Les fans ne seront pas déçus.

Du 25 février au 23 mars
À la Galerie Madeleine Lacerte
Voir calendrier Arts visuels