Guy Laramée : Le funeste poids de la connaissance
Inspiré de Borges, Guy Laramée pose un regard anthropologique sur une civilisation disparue, écrasée sous le poids de la connaissance.
Depuis quelques années, l’artiste multidisciplinaire Guy Laramée sonde le monde des Biblios, un peuple qui mourut écrasé sous le poids de la connaissance. Plusieurs installations ont été créées autour de ce thème ludique et intrigant. Chaque oeuvre peut être lue comme une parcelle de mémoire ou un artéfact faisant foi d’une civilisation obnubilée par la connaissance et scrutant sans répit notre univers, à la recherche d’une vérité. De LA vérité?
Inspiré par le livre de Borges La Bibliothèque de Babel, Laramée pose un regard anthropologique sur les notions d’accumulation de connaissances, semblant facilitée et encouragée par les nouvelles technologies, et de perte ininterrompue d’autres connaissances, appartenant à des civilisations ou cultures vouées à la disparition.
Les Autels domestiques, 5 pieds de largeur x 10 pieds de hauteur x 3 pieds de profondeur, bois et sources lumineuses, 2006. |
Une des salles de la galerie AXENÉO7 accueille quatre sculptures composant un univers que l’on peut supposer être celui d’un personnage des années 50 aux origines québécoises typiques, avec son bagage religieux et ses préoccupations de l’ordre de l’esprit. La série d’oeuvres est justement intitulée Autels domestiques. Sans pour autant former un hommage, ces autels constituent une allégorie puissante des valeurs de cette société sans toutefois dévoiler la clé de tout ce mystère. On y découvre le portrait peint d’un jeune étudiant en costume officiel de collège, regardant droit devant. Une tablette souligne l’oeuvre, et s’y retrouvent un récipient d’encens et une boîte d’allumettes, créant une atmosphère nostalgique ou tragique, selon l’interprétation du visiteur. À droite, un secrétaire immense aux très nombreux casiers vides témoigne d’un souci de rigueur démesuré et de cette quête que l’on devine obsédante. De facture impeccable, le meuble s’apparente à un Colisée romain, opposant le regard du public à la fonction très privée d’un secrétaire. Au fond de la pièce se dresse un établi dont les planches ont été minutieusement courbées, tel le relief du paysage. Il en résulte un effet de vague faisant contraste avec la caractéristique première d’un tel équipement, soit celle d’être "d’équerre". De minuscules points verts lumineux éclairent discrètement le ciel. Enfin, un chevalet est encombré d’abondants cadres de bois disposés les uns sur les autres en un équilibre précaire. Sur la tablette du chevalet sont déposés 24 lampions bleutés projetant un délicat éclairage produisant des ombres menaçantes au mur. Les quatre pièces se font écho et l’éclairage soigné procure le sentiment de pénétrer en un lieu sacré regroupant les artéfacts d’une époque où régnaient l’ordre et la perpétuelle recherche d’un idéal, avec les inéluctables et innombrables questionnements associés.
La sculpture La Grande Bibliothèque trône solennellement au centre de la grande salle vitrée. Des dizaines d’encyclopédies Britannica sont déposées sur un socle de tiges d’acier, en deux rangées. Tel un canyon, les livres semblent avoir été sculptés par le lent passage d’un glacier. Les pages ont été très minutieusement découpées, formant les parois de l’escarpement et une référence à l’érosion physique et métaphorique des mots et de la connaissance.
Telles des énigmes à élucider, les installations de Guy Laramée sont empreintes d’une insolite et percutante théâtralité. Plus que quelques jours pour profiter de cette exposition!
Jusqu’au 15 mars
À AXENÉO7
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