Thomas Bégin : Pulsion scopique
Thomas Bégin propose une camera obscura où l’image ne fait pas figure d’enjeu premier. Quant à elle, Julie Doucet montre que la BD est bel et bien de l’art.
Encore une camera obscura? Encore un artiste qui prend l’appareil photographique comme outil pour réfléchir à notre rapport au visuel et aux représentations? Oui, mais Thomas Bégin, dans son installation à la Galerie B-312, sait éviter les clichés associés à ce dispositif souvent utilisé ou évoqué par beaucoup d’artistes depuis 25 ans (dans les dix dernières années: Mireille Baril chez Dazibao, Denis Farley à L’OEil de Poisson, Thomas McIntosh à Quartier Éphémère, Hugues Dugas au Centre Est-Nord-Est, Gabor Osz au Musée des beaux-arts, Tetsuomi Anzai au MAI, pour ne citer que ceux-là).
L’installation de Bégin évite en effet quelques-uns des écueils propres à ce dispositif, ne serait-ce qu’en faisant référence au cinéma davantage qu’à la photo. Décrivons la chose: dans une pièce plongée dans l’obscurité (camera obscura oblige), des panneaux assombrissent une grande fenêtre. Ces panneaux sont en fait composés de grands obturateurs tournoyant et laissant passer la lumière à travers des cercles évidés. Cela fait penser à des projecteurs de film fonctionnant à vide.
Voici un travail sur la pulsation, sur la rythmique. Car ce qui nous touche ici, ce ne sont pas tant les images, que nous pourrions voir grâce à ces ouvertures (images qui seraient projetées sur le mur en face de cette machinerie ou images perçues à travers ces trouées); c’est plutôt la mécanique de l’ensemble qui fascine. À travers les trous, un jeu de lumière se compose et hypnotise le spectateur. Dans We’re Looking for You (en passant, est-ce que les artistes à Montréal peuvent arrêter de donner des titres en anglais à leurs expositions?!?), le visiteur se sentira comme un enfant fasciné lors de la découverte d’un projecteur super 8. Notre oeil est capté par l’infini jeu de présence-absence, apparition-disparition de cercles blancs de lumière que donnent à voir les trouées.
Lorsque nous regardons un film, ou simplement la télé, notre cerveau ne perçoit-il pas aussi ce scintillement de l’image que notre oeil n’arrive pas à saisir? Serait-ce cela qui nous plaît tant dans les images cinématographiques ou télévisuelles? Il faudrait alors parler des images fixes et des images scintillantes (et non pas en mouvement).
Le visiteur profitera de son passage pour aller admirer, dans la petite salle de la galerie, les gravures de Julie Doucet. Auteure de bandes dessinées renommée – elle a réalisé un nombre impressionnant d’albums (Monkey and the Living Dead, Ciboire de criss!, Changements d’adresse, L’Affaire Madame Paul…) -, Doucet monte aussi des expos d’art. Chez B-312, elle a gravé une série de portraits à partir de photos trouvées dans la rue à Berlin. Dans cette série intitulée en souvenir de Melek, au-delà de son impeccable style, Doucet nous parle de l’image quant à son potentiel narratif jouant sur l’imaginaire, mais aussi par rapport à son incapacité à former un récit cohérent. Une installation sur les limites de l’image. À noter: ces jours-ci, l’amateur peut aussi voir une installation sculpturale de Julie Doucet à la Galerie Clark, dans le lounge (jusqu’au 22 avril).
Jusqu’au 18 mars
À la Galerie B-312
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