Nicolas Baier : Tableaux d'honneur
Arts visuels

Nicolas Baier : Tableaux d’honneur

Nicolas Baier a investi le Musée des beaux-arts. Ses photos s’y retrouvent un peu partout dans la collection permanente. Chasse aux trésors.

Picasso aimait que son travail dialogue avec l’art du passé. Il faisait placer ses tableaux dans des cadres antiques et il adorait qu’ils soient montrés à côté de peintures d’autres siècles. Cela lui permettait de vérifier si son regard tenait la route à l’aune de l’histoire de l’art. Voilà une approche qui hante aussi notre contemporanéité. Au Louvre, s’est achevé récemment le deuxième volet de Contrepoint, expo où des artistes actuels ont été invités à intervenir. Pour le premier volet de l’événement, l’an dernier, Gary Hill avait installé, au-dessus de vitrines montrant des tablettes d’argile mésopotamiennes datant du début de l’écriture, des vidéos détaillant des chars de guerre. Notre époque a besoin de mettre à l’épreuve sa postmodernité.

Voici une idée bien importante. La présentation chronologique dans les musées évite pourtant de telles confrontations. Le mélange des époques est perçu comme étant propre au caprice du collectionneur, au domaine du goût, en opposition au savoir plus scientifique de l’historien de l’art. C’est néanmoins la judicieuse optique qu’a choisie Nicolas Baier pour montrer ses photographies au Musée des beaux-arts. Lui et le commissaire Stéphane Aquin nous convient à une sorte de chasse aux trésors où il faut retrouver les images de Baier éparpillées dans le Musée, cachées ici et là entre des oeuvres de la collection permanente. Le visiteur devra parcourir autant l’ancienne aile que la nouvelle pour trouver les 17 photos créées par Baier pour ses Tableaux de chasse, et ce, même si, étrangement, aucune affiche ne l’annonce nulle part.

Cette comparaison entre l’art contemporain et l’art ancien, classé, presque intouchable, pourra sembler à certains comme une irrévérence. Mais elle dénote avant tout la prise d’un risque. Que Baier place ses photos pas loin d’un Picasso ou d’un Borduas, voilà qui ne manque pas de culot, mais aussi de courage. La comparaison pourrait vite tourner en défaveur du jeune créateur. Or, Baier souhaite, avec passion, montrer des correspondances, faire dialoguer des oeuvres dans le temps, effectuer une relecture de certaines pièces. Et ce ne sont pas uniquement les oeuvres du passé mais aussi les siennes qui, dans ce processus, se trouvent à modifier leur sens ou tout au moins à dévoiler leur polysémie.

L’ART N’A PAS DE SENS ABSOLU

Baier nous montre donc l’éclectisme de ses sources. Sa photo Harpie, avec ses branches d’arbre qui ressemblent à des éclairs ou aux cheveux d’une Gorgone, est judicieusement accrochée dans la section baroque alors que Voûte (image épurée) est installée à côté d’oeuvres abstraites et de meubles très design. Baier montre comment, grâce à la photo, il veut embrasser le monde, une multitude de genres (paysage, nature morte, photo documentaire, photo de mode…), une multitude de styles, mais aussi de façons de faire. En effet, parfois ses images sont totalement reconstruites avec Photoshop, mais d’autres fois elles sont le fruit d’un seul déclic photographique. Baier nous dit que sa seule manière de faire est de ne pas en avoir. Du coup, cette façon de présenter ses oeuvres apparaît encore moins comme une coquetterie ou un geste prétentieux, mais bien comme une volonté profonde de souligner la multitude des sources de son travail ainsi qu’une occasion d’approfondir cette approche.

Des 17 images cachées, toutes ne dialoguent pas avec l’art classé avec la même intensité. Je n’aime guère, lorsqu’un artiste est de haut niveau, que la critique cesse de faire la part entre les bonnes et les moins bonnes oeuvres. La photo Un après-midi sur De Gaspé me semble un beau clin d’oeil à la peinture impressionniste, mais sans plus, et ce, même si j’apprécie l’amusante critique qu’elle porte. La beauté tant vantée du style vaporeux impressionniste est en effet ramenée ici à la saleté d’une fenêtre en hiver… D’autres images, au contraire, me touchent profondément et interpellent la question du sens en art.

Ces photos montrant des lieux où Baier a vu la carte du Canada émergeant de presque rien (d’un marécage d’un terrain de golf à Laval ou d’un mur d’un vieux pénitencier, encore à Laval!) m’apparaissent porteuses d’une réflexion importante. Placées dans la section de l’art canadien, ces images viennent faire une critique de l’identité nationale que l’on prête presque toujours à l’art du paysage réalisé par des peintres d’ici. Baier nous dit comment le regard projette du sens sur le monde et comment l’oeuvre est souvent récupérée par ces discours.

Insistons sur un point: l’art n’est jamais vraiment ancien. Même l’art venant du passé est utilisé, réinvesti par le présent, récupéré par les uns ou les autres (souvent par les domaines de l’argent ou du politique), porteur de mythes et de récits que nous pouvons utiliser, intelligemment ou bêtement, pour inventer notre présent. Voilà la mécanique de sens que Baier souligne.

Jusqu’au 28 mai
Au Musée des beaux-arts
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