Ce point est la montagne : Vue panoramique
L’expo Ce point est la montagne regroupe des oeuvres d’Ulysse Comtois, Yves Gaucher, Gilles Mihalcean, Charles Gagnon, Raymond Gervais… Point de vue élevé sur le monde.
Il y a quelques semaines, à propos d’une expo qui traitait de l’usage de la couleur blanche à la Galerie Simon Blais, je vous disais comment il est malheureusement trop rare d’avoir des présentations qui discutent de la récurrence d’un thème, d’une idée ou d’une structure formelle. S’il y a bien un lieu qui fait exception en ce domaine, c’est la Galerie Roger Bellemare. Le directeur de cet espace n’hésite en effet jamais à réunir des pièces de divers artistes et de diverses époques autour d’une interprétation originale. Il avait été au coeur de l’événement La Cathédrale engloutie qui, en 2000, montrait des images évanescentes. Autre exemple: en 2004, il avait monté Ils, mettant en scène des hommes artistes et leur vision de la masculinité.
Cette fois-ci, Bellemare nous invite à aller voir quatorze créateurs réunis dans une expo intitulée Ce point est la montagne… Simple présentation sur le thème du paysage montagneux interprété par des artistes figuratifs comme abstraits? Au premier coup d’oeil, le visiteur pourrait le croire, mais à y regarder de plus près, voici un panorama esthétique et intellectuel plus complexe que prévu.
En fait, le titre réfère à un poème de Maître Eckart (Eckhart von Hochheim), mystique rhénan accusé d’hérésie et mort vers 1328. La phrase en entier se lit ainsi: "Ce point est la montagne / à gravir sans agir / intelligence!". Que comprendre dans cette citation? L’enseignement d’Eckart proposait un détachement de ce monde pour trouver Dieu. Pour lui, il fallait même se détacher du désir de trouver Dieu pour se rapprocher vraiment de lui. Mais en quoi cela peut-il encore nous toucher de nos jours, dans notre époque, heureusement, si impie? La leçon de ce penseur tient au fait que pour arriver à atteindre les buts les plus grands (même Dieu), il faut plonger dans la pureté de son intériorité. Mais pour aller vers le plus grand des idéaux, il ne faut pas pour autant laisser tomber ce monde. L’ascension vers la grandeur (divine ou humaine) passe par une forme d’introspection, de méditation qui permet de retrouver le sens du monde présent en nous. Voilà une expo ayant un contenu symbolique fort. Presque une leçon sur l’art, sur la limite entre figuration et abstraction, sur le désir de toucher, à travers l’art, à la grâce. Ce point est la montagne semble nous dire que l’art, grâce à une introspection presque abstraite sur ses moyens d’expression, arrive encore mieux à effectuer un dialogue avec le monde réel.
Pertinente à plusieurs titres, cette présentation met par ailleurs en dialogue des artistes actuels avec des artistes plus aguerris, et même avec certaines figures majeures de l’histoire de l’art. Une huile du jeune Maclean est installée juste à côté d’un pastel étonnant de Fernand Leduc; une acrylique de Stéphane La Rue (où la seule texture des coups de pinceau avec de la peinture blanche crée une sensation de montagne chatoyante) côtoie un tableau de Charles Gagnon; Richard Purdy n’est pas très loin de Jean Fautrier…
Vous retrouverez enfin quelques oeuvres extraordinaires, dont cette eau-forte de 1965 d’Alberto Giacometti (Retour amont) qui, avec presque rien, atteint au magnifique. Cette petite merveille de finesse et de fragilité dévoile à ceux qui prendront le temps de la contempler un petit personnage tout linéaire, marqué de quelques traits, tout comme les arêtes de la montagne sur laquelle il domine le monde d’une manière presque romantique, à la Gaspar David Friedrich, en sachant bien pourtant qu’il n’est pas grand-chose. www.rogerbellemare.com
Jusqu’au 15 avril
À la Galerie Roger Bellemare
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