Martin Bureau : Jeu de guerre
Avec Panique au village, Martin Bureau expose des tableaux et des vidéos plus que jamais ancrés dans son environnement et branchés sur la vie.
Martin Bureau, 33 ans, mène ce qu’on pourrait appeler "l’existence dont rêve tout peintre". Depuis 10 ans, plusieurs collectionneurs le soutiennent, achètent ses oeuvres et attendent toujours avec impatience ses nouvelles expositions. À ce précieux soutien qui lui permet de vivre de sa peinture s’ajoute aussi celui plus sporadique du Conseil des arts et des lettres du Québec ainsi que l’appui inconditionnel de la Galerie Madeleine Lacerte à Québec et de sa division montréalaise, Orange. L’engouement pour l’oeuvre de Martin Bureau est maintenu grâce aux risques que prend toujours le peintre. C’est Martin Bureau qui provoque lui-même les changements: "J’essaie de me casser moi-même pour me stimuler à peindre. Le pire ennemi du peintre, c’est se répéter…" Il ne lâche pas prise depuis 10 ans, et chacune de ses nouvelles productions suscite toujours beaucoup d’attentes. Et quoi de plus précieux pour un artiste: un public s’intéresse à sa peinture!
"La peinture se nourrit de tout", explique l’artiste, dont la source d’inspiration de la plupart des tableaux récents se trouve dans les images captées par les caméras de surveillance (!) installées à Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans, où il vit et travaille. Ces caméras surveillent l’église, les joueurs de pétanque, le jardin d’enfants, le fleuve, l’horizon… Son atelier étant installé au centre municipal, la présence des caméras filmant les allées et venues des habitants ne pouvait laisser Martin Bureau indifférent. Il en a fait le point de départ d’une partie de ses tableaux récents et un prétexte à l’élaboration d’une fiction où il nous amène d’un tableau à l’autre.
À l’instar de plusieurs peintres contemporains, il cultive une figuration de l’ambiguïté, comme une façon de mieux mettre à distance la société de l’image: "Un tableau réussi est un tableau ambigu", explique l’artiste. Et ses tableaux nous laissent effectivement incertains devant le sens que nous serions tentés de leur donner pour définitif. Nous sommes assurés d’une chose cependant: de la force des images, du choc des couleurs, charmés de tous les effets que seule la peinture peut produire.
Panique au village pourrait s’envisager comme la métaphore de tous les combats que l’on mène dans une vie. Mais ces bombes qui tombent sur l’île d’Orléans parlent aussi des guerres réelles… Dans ces tableaux, il y a toujours quelque chose qui se consume, inscrivant les images fixes dans une dimension temporelle, troublant la quiétude. Les ciels s’ouvrent. La peinture s’embrase. L’horizon s’illumine dans la nuit, le fleuve livre ses reflets. Martin Bureau précise: "C’est très permissif de peindre des paysages." Cela relèverait ainsi du plaisir de rendre le ciel, l’eau, les ombres bleues sur la neige, le feu aussi. Et s’il y a toujours quelque part un feu qui brûle – un des motifs de prédilection de l’artiste -, c’est aussi parce qu’il s’agit d’un motif des plus intéressants à peindre, avouera encore Bureau.
On ne s’étonnera pas trop que la notoriété de cet artiste s’étende par-delà le champ des arts visuels. En parallèle au travail plus solitaire de l’atelier, Martin Bureau s’active en équipe et reformule, sous un autre éclairage, sa vision du monde. Sa feuille de route est remplie de projets photographiques, de vidéo (il a réalisé plusieurs vidéoclips), et il s’est distingué dans la réalisation de pochettes de disques (celles de Fred Fortin, Faulkner, Charlebois et celle de Galaxie 500, qui sera en démonstration au Lobe). Outre un projet de montage vidéo lors de sa résidence de création à la Galerie Le Lobe, où il retravaille les images des caméras de surveillance de Saint-Jean, il participe aussi à un film documentaire sur Schefferville, en collaboration avec le géographe Luc Renaud et avec son caméraman acolyte, Jean-François Dugas. Il s’agit d’un documentaire sur les relations entre les colonisés et le colonisateur, les autochtones étant désormais installés sur les lieux mêmes que les Blancs ont déserté à la suite de la fermeture de la mine en 1982.
Avec Panique au village, la production de Martin Bureau est à la fois tournée vers le monde, témoin de moments plus intimistes et plus que jamais ancrée dans son milieu de vie: s’y jouent la petite et la grande histoire. Et c’est peut-être à cause de cela qu’elle touche ici à quelque chose de fondamental. Si l’art a un pouvoir d’évocation, si la peinture enchante toujours par sa fascinante pérennité, ce sont là sans doute des qualités qu’on peut aussi attribuer aux oeuvres de Martin Bureau. (Nathalie Côté)
EN LIEU SÛR
Elles sont là qui surveillent tous les faits et gestes, sycophantes électroniques, trace d’une aliénation généralisée qui pénètre profondément nos campagnes. Des appareils de sûreté trônent, hagards, en différents points de Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans, ouvrant un oeil rond sur une porte, un terrain de jeu, une salle paroissiale, preuve de l’intrication du réflexe de la crainte dans un quotidien qui ne peut plus être quiet. Comme si en écho à la croisade de l’Occident contre le terrorisme naissait une paranoïa ciblée, posant chaque habitant comme un acteur potentiel dans la grande parade guerrière.
À partir des centaines d’heures de matériel vidéo enregistré par les caméras de surveillance, témoins privilégiés du passage du temps, Bureau construit des séquences d’environ une minute, tantôt drolatiques, tantôt inquiétantes. "Ce qui est intéressant là-dedans, déclare l’artiste, c’est que j’avais une fenêtre de 40 jours. Je pouvais me permettre de filmer le temps qui passe sans me braquer là moi-même pendant des heures et des heures…" L’ambiance sonore contribue pour beaucoup au sens des oeuvres, transformant une réunion du conseil municipal en une séance de propagande nazie ou quelque loisir inoffensif en un bruyant champ de bataille, imprégnant d’une atmosphère angoissante les gestes même les plus candides. Pour certaines des séquences qui seront présentées, l’artiste s’est adjoint un collaborateur, Olivier Langevin, qui crée à distance des ambiances acoustiques inspirées de ses montages. "Je vais le laisser aller. Finalement, c’est comme un cadeau que je me fais, je veux qu’il m’apporte des surprises, au bout du compte." Avec la projection de ces vidéos rythmiques qui réinventent le temps en le redécoupant, nous pourrons aussi nous laisser absorber par huit des peintures de Bureau, dont certaines de très grand format, qui s’attardent plutôt à figer le réel pour mieux le marquer au fer d’un imaginaire qui met en rapport le local et le mondial, l’individu et l’Homme. (Jean-François Caron)
Vernissage le 21 avril
Jusqu’au 13 mai
À la Galerie Le Lobe
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