Massimo Guerrera : Seuls ensemble
Arts visuels

Massimo Guerrera : Seuls ensemble

Massimo Guerrera poursuit son projet Darboral amorcé en 2000 et qui a fait un arrêt remarqué en 2002 au Musée du Québec. La vie, mode d’emploi.

Cela débute par une action bien simple. Le visiteur qui veut entrer dans la Galerie Joyce Yahouda, pour voir la plus récente installation de Massimo Guerrera, devra enlever ses chaussures. Un petit geste, presque rien. Mais tout le travail de Guerrera tourne autour d’une réflexion sur l’importance des petites actions au quotidien et sur comment celles-ci sont porteuses de valeurs et de rapports sociaux. Du coup, pieds nus ou en chaussettes (parfois trouées), nous voilà, visiteurs, comme dans un espace privé, légèrement plus fragiles dans notre déambulation esthétique. D’un pas moins sûr, nous avançons.

Dans la galerie, partout des tapis. Certains aux motifs orientaux, d’autres plus ordinaires. Certains même sont tachés, marques d’activités passées, signes que l’on peut ici se sentir à l’aise. Sur ces tapis, le visiteur peut simplement s’asseoir pour regarder les quelques éléments qui y sont déposés: des sculptures en creux montrant des têtes qui semblent ouvertes au monde, qui, comme des moules, attendent de recevoir un contenu; des plantes ayant poussé à partir de noyaux et de graines d’aliments mangés lors de précédentes expositions-happenings; plusieurs cahiers de dessins; quelques aliments que l’artiste partage lors des rencontres avec le public… L’ensemble crée un effet de salon. Un environnement très années 60-70 où tous peuvent s’installer sur le sol, la disparition de la chaise et du fauteuil venant énoncer la remise en question d’une certaine manière coincée de se tenir, mais aussi d’être avec les autres.

LE PARI DE LA CONFIANCE

L’installation intitulée Darboral (Et l’entretien patient d’un champ de pratique) se veut, selon Massimo Guerrera, un espace "où l’on peut observer et transformer de manière créative nos différents modes d’ouverture psychiques et corporels, en assouplissant nos limites communes".

Et il s’agit bien ici en effet de discuter, de ressentir devrais-je dire, ce qui constitue nos rapports aux autres: en tant qu’individus (en société, mais aussi dans nos vies privées), devons-nous nous laisser aller à la méfiance, à la crainte de la trahison? Comme le philosophe Jacques Derrida l’a écrit souvent (entre autres dans La Carte postale), sommes-nous condamnés au fait qu’il n’y a entre les individus que des malentendus, des impossibilités de se comprendre? Ou, au contraire, pouvons-nous nous abandonner à l’autre?

À travers son art, Guerrera semble faire un pari. Il mise sur le dialogue, sur l’ouverture à l’autre, sur le bonheur de la rencontre. Tous ne pourront peut-être pas se reconnaître dans cette attitude. Mais n’allez pas croire que Guerrera soit naïf. Lorsque j’ai parlé avec lui au vernissage, il a beaucoup insisté sur ce point. Cet artiste nous dit comment, à travers des rituels réinventés, peuvent se bâtir des liens entre des êtres ouverts au dialogue, mais pas nécessairement offerts à l’autre. Dans ses dessins, il montre d’ailleurs des individus se tenant les uns à côté des autres tout en étant solidement présents dans leur corps (et dans leur propre identité).

Le visiteur devra prendre le temps de regarder ces carnets de dessins pour mieux saisir l’univers de Guerrera. Il y joue avec l’oeil du spectateur. J’ai particulièrement apprécié ces séries qui débutent par un dessin abstrait où seules quelques taches apparaissent. Puis, dans les croquis suivants, émergent des champs d’énergie entre des individus.

Si ses happenings-performances me semblent parfois un peu bon enfant, je suis toujours touché par l’ambiance qui s’en dégage, capable d’imprégner ceux qui acceptent de jouer le jeu.

Signalons que le vendredi 28, entre 16 h et 19 h, l’artiste sera présent pour un Rendez-vous indéfini, forme de happening auquel le spectateur est convié. Guerrera y sera accompagné de Sylvie Cotton, Maggie Dubé, Younes Haloui, Corine Lemieux et Tamar Tembeck. D’autres rendez-vous auront lieu les 6, 13 et 20 mai entre 15 h et 18 h.

Jusqu’au 20 mai
À la Galerie Joyce Yahouda
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