Carte grise au centre Dazibao : Image magie
Jocelyn Robert est le commissaire de l’événement Carte grise au centre Dazibao. Dans La Lumière immobile, il expose l’image dans sa dimension séductrice.
Même si toutes les oeuvres présentées n’y sont pas d’égale qualité, voici néanmoins une exposition qui est d’une grande cohérence intellectuelle et d’une grande cohésion visuelle. Malgré le fait qu’elle réunit cinq artistes très différents, l’ambiance qui se dégage de l’ensemble donne presque l’impression d’une seule signature. Pourtant, elle rassemble des créateurs d’univers artistiques distincts: Éric Gagnon (vidéaste de Québec), Bernard Gigounon (sculpteur et vidéaste de Bruxelles), John Oswald (artiste multidisciplinaire de Toronto qui s’est fait connaître comme compositeur et musicien), Julia Page (directrice du laboratoire expérimental des arts médiatiques de l’Université Stanford et qui enseigne la sculpture à l’Université de Californie) et Ben Riesman (artiste multidisciplinaire produisant des oeuvres photographiques, vidéographiques ainsi que sonores et vivant lui aussi en Californie).
Il faut dire que le commissaire (et artiste vivant entre Montréal et Québec) Jocelyn Robert a eu la judicieuse idée d’installer leurs interventions d’une manière simple, mais très unifiante. L’espace chez Dazibao est plongé dans une lumière feutrée, où seuls des écrans télé viennent ponctuer, ici et là, l’environnement. Quelques sièges viennent renforcer cette idée que nous ne sommes pas vraiment dans une galerie d’art, mais presque dans un salon où on aurait laissé ouverte la télévision. Mais Robert n’a pas voulu faire dans l’usage gueulard de ce médium, qui donne en effet trop souvent dans l’événementiel à tout prix… Il a au contraire montré des vidéos totalement silencieux, à l’exception de Looking Up de Gigounon (un des meilleurs), qui laisse entendre le bruit des criquets. De plus, ces images ne bougent presque pas, comme si ces artistes se servaient de la vidéo comme outil photographique. Les créateurs invités ont pratiquement inventé des screensavers pour télé. Ils nous invitent à sentir le presque rien du scintillement de l’écran cathodique, à saisir comment nos yeux sont avant tout séduits par la lumière fluctuante de l’image vidéo. Du coup, même lorsqu’il ne se passe absolument rien dans ces images (comme dans le cas de l’autoportrait d’Oswald), notre oeil croit percevoir un mouvement, un déplacement, une action…
Le visiteur sera peut-être surpris par le fait que cette expo présente des vidéos, alors que le but premier du projet Carte grise (qui existe depuis 1996) est de réfléchir sur le médium photographique. Il est maintenant courant de voir des événements qui analysent un médium artistique à l’aune d’un autre moyen d’expression. Cela donne souvent des résultats peu satisfaisants et tirés par les cheveux. Parfois, tout est dans tout. Certes, nous sommes dans la postmodernité et la spécificité du médium semble dépassée… Ici, pourtant, le parti pris ne manque pas nécessairement de pertinence. Il nous montre comment les questions sur la représentation (en photo, en peinture, en vidéo…) dépassent un médium donné. Mais il y a plus. Ces vidéos soulignent l’aspect magique de l’image. Autant dans Interlude de Gigounon, qui réactualise le jeu visuel des zootropes pour enfants au 19e siècle, que dans ESP #11 de Ben Riesman, où se métamorphose continuellement un objet par simple montage, chaque fois, les artistes nous parlent du pouvoir envoûtant de l’image.
Jusqu’au 3 juin
Au centre de photographies actuelles Dazibao
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